Faut-il avoir peur des vaccins ?
Michel Cogné, Institut Universitaire de France (IUF)
Il y a-t-il danger à se faire vacciner ? Régulièrement, en France et partout dans le monde, les opposants à cette méthode de protection contre les maladies font entendre leur voix. Dernière polémique en date : l’immunisation des jeunes filles contre le papillomavirus. Qu’en penser ? Cet acte médical qu’est la vaccination relève-t-il d’un plan machiavélique fomenté par une industrie pharmaceutique osant tout et n’importe quoi pour nous transformer en malades ? Ou, au contraire, les oppositions anti-vaccins ne sont-elles qu’allégations injustifiées, mais à la mode chez certains partisans des théories du complot qui préfèrent des enfants cancéreux « naturellement » plutôt que vaccinés « artificiellement » ?
L’exemple du vaccin contre le papillomavirus montre bien quels sont les enjeux de ce débat miné. Ainsi, le rapport de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANMS), paru mi-septembre, fait le point d’une façon incontestable, chiffres à l’appui, en faveur d’une vaccination dont les bénéfices sont clairs, mais qui pourtant a suscité bien des polémiques…
Un vaccin c’est quoi ?
L’être humain est doté d’un outil raffiné de protection contre les maladies et agressions : son système immunitaire. Celui-ci est tout à fait remarquable par sa capacité à développer des millions de réponses différentes, adaptées à la plupart des bactéries, virus et champignons pathogènes que nous rencontrons au cours de notre vie … On pourrait le comparer à un corps de pompiers d’élite, capables d’intervenir tant sur les feux que les noyades, les fuites de gaz, les risques chimiques ou les accidents de la route. Immense polyvalence et adaptabilité, donc.
À l’inverse de l’immunité innée présente chez les organismes simples, tous les mammifères disposent, pour se défendre, d’un système dit d’immunité adaptative, qui permet de répondre à une infinité de situations différentes et d’en garder le souvenir. Cette « mémoire immune » nous permet ensuite de réagir beaucoup plus rapidement et efficacement lors d’une nouvelle rencontre avec un micro-organisme pathogène connu. Comme une équipe de pompiers, ce système immunitaire fait d’autant mieux face à un danger qu’il a appris à le combattre.
Les vaccins, c’est donc un peu l’école du système immunitaire. Bien sûr, on peut apprendre « sur le tas » : si l’on contracte, puis l’on guérit de la rougeole, notre organisme ayant ainsi appris à connaître l’ennemi, sera définitivement immunisé contre la maladie. Le vaccin contre la rougeole permet, lui, d’accélérer et de sécuriser le processus. Il s’agit d’administrer un virus atténué qui, sans provoquer une vraie rougeole, déclenche dans l’organisme une réponse immunitaire a minima, suffisante pour que le corps apprenne à contrer le virus. C’est donc la formation et l’entraînement du sapeur-pompier, mais sans les risques de s’exposer à un vrai feu de forêt….
Protéger contre le cancer du col
Qu’en est-il de la vaccination contre le papillomavirus humain (HPV) ? Et tout d’abord, à quoi sert-elle ? Plusieurs vaccins visent à protéger contre les formes les plus fréquentes du cancer du col de l’utérus. Le Haut Conseil de Santé Publique (HCSP) recommande de vacciner les jeunes filles à l’âge où elles vont débuter leur vie sexuelle et s’exposer ainsi à l’HPV. Il s’agit de leur offrir une protection contre les sérotypes les plus agressifs du virus.
D’autres sérotypes, plus rares, peuvent toutefois entraîner la maladie : ainsi, le vaccin ne protège pas contre la totalité des cancers. Il devrait quand même permettre d’éviter 70 à 80 % des cancers du col de l’utérus, du vagin de la vulve ou de l’anus… Autant dire que cette vaccination est un vrai enjeu de santé publique. Malheureusement, seul un tiers des jeunes filles françaises en bénéficient actuellement.
Quid de sa sécurité pour les personnes vaccinées ? À l’instar de celui contre l’hépatite B (autre vaccin « anti-tumoral » avec cette fois un intérêt vis-à-vis des cancers primitifs du foie), le vaccin contre l’HPV a été l’objet de rumeurs dénonçant de possibles effets secondaires. Quelques cas rares de sclérose en plaques ont amené les experts à se poser une question brûlante : s’agissait-il d’affections sporadiques, indépendantes du vaccin, ou bien un lien de cause à effet pouvait-il être établi ? Pour trancher, des études indépendantes fondées sur un travail épidémiologique et statistique de qualité s’imposaient.
Une large étude a été menée dans le monde sur les nouveaux vaccins contre le papillomavirus. Elle s’est poursuivie 4 ans sur plus de 2,2 millions de jeunes filles, dont environ un tiers vacciné. Validé par un comité scientifique indépendant, le rapport rendu le 13 septembre 2015 par l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) confirme que ces vaccins n’augmentent pas le risque global de maladie auto-immune. Cela écarte notamment le risque de sclérose en plaques lié à la vaccination. Et valide donc les recommandations de l’HCSP en fonction d’un rapport « bénéfice-risque » du vaccin très favorable.
Vous avez dit « bénéfice-risque » ?
Le choix des mots est important. La validation d’un bon rapport « bénéfice-risque » n’est pas synonyme d’absence totale de risque. Ainsi, le rapport de l’ANSM montre que le risque global de pathologies auto-immunes n’est pas augmenté par la vaccination. Il précise notamment cette absence de risque pour les affections sévères que sont le lupus érythémateux ou la sclérose en plaques. Mais le travail atteste également d’une faible augmentation du risque d’autres pathologies moins sévères, telles que le syndrome de Guillain-Barré.
Le problème des discussions parfois passionnées sur la question des vaccins, c’est que l’on peut tout à fait argumenter de façon opposée à propos des mêmes observations. Vacciner, c’est induire une activité du système immunitaire, puisqu’il s’agit d’entraîner ce système à se défendre contre un agresseur. Même si comparaison n’est pas raison, un parallèle s’impose dans le domaine militaire : un soldat qui s’entraîne court-il un risque ? Forcément oui ! Il a plus de « chance » de se faire une entorse ou une contracture musculaire qu’en faisant la sieste. De ce risque faible, mais réel, les adversaires des vaccinations peuvent tirer argument : toute réponse immunitaire, même à l’occasion d’un simple rhume, peut très rarement être suivie de quelques manifestations de nature auto-immune, généralement transitoires, telles que le syndrome de Guillain-Barré (polyradiculonévrite aiguë habituellement régressive), ou certaines maladies inflammatoires de l’intestin.
C’est vrai après un vaccin comme après un rhume. Un risque infime existe donc, mais qui, à l’échelle d’une population, mérite d’être pris, car les bénéfices attendus l’emportent largement sur les risques encourus. Pour 100 000 personnes vaccinées, on observerait ainsi environ un cas supplémentaire de syndrome de Guillain-Barré. Pour revenir à la comparaison débutée plus haut : qui aimerait se savoir protégé par des soldats ayant remplacé tout entraînement par l’art de la sieste ? Même si ce faisant, ils avaient en effet évité tout risque d’entorse ? Dans un tout autre domaine, le port de la ceinture de sécurité est un bon exemple d’arbitrage en fonction d’un bénéfice /risque : on accepte l’idée d’une possible lésion cutanée voire d’une fracture de la clavicule induite par une ceinture, moyennant l’assurance qu’en cas de choc, cette ceinture nous empêche de traverser le pare-brise.
Reste à comprendre pourquoi « l’entraînement immunitaire » ne peut pas échapper au risque. Le système immunitaire est chargé de la lourde tâche de distinguer, d’une part nos propres antigènes et ceux des micro-organismes qui vivent en symbiose avec nous (notamment au niveau de nos muqueuses) et de les tolérer, d’autre part des antigènes produits par des micro-organismes pathogènes qu’il convient d’éliminer. Des milliards de molécules se croisent ainsi dans notre organisme et sont le plus souvent correctement identifiées, mais le monde biologique comme celui de l’informatique n’est pas complètement à l’abri d’un « bug ».
On peut par erreur réagir fortement contre un antigène qui n’est pourtant ni pathogène ni agressif (aliment, pollen, cosmétique…) et ce sera l’allergie. On peut également, plus rarement, réagir contre nos propres antigènes et ce sera un syndrome d’auto-immunité. À chaque fois que notre système immunitaire se met en action (c’est-à-dire très souvent), contre un rhume, une angine, des germes contaminant une petite plaie, un vaccin… un faible risque d’erreur de l’immunité existe, semblable au risque d’entorse du soldat qui s’entraîne ou combat.
Fort heureusement des millions d’années d’évolution ont sélectionné chez nous des réponses immunitaires, très adaptées, très spécifiques et très sûres et les risques que nous évoquons ici restent négligeables en comparaison des bienfaits que nous apporte notre système de protection. Les déficits profonds de l’immunité sont ainsi totalement incompatibles avec une vie dans un environnement normal non protégé.
Que conclure, au sujet du vaccin contre le papillomavirus humain ? Tout d’abord, soulignons que ce qu’il combat est bien souvent mortel : le cancer du col de l’utérus, 11ème cancer le plus fréquent en France, tue dans un tiers des cas. Il cause ainsi chaque année environ 1100 décès en France. En 2012 en France, parmi les différentes causes de décès mesurées aujourd’hui, environ une Française sur 1 000 décédera d’un cancer du col de l’utérus et un peu plus d’une femme sur 400 développera au cours de sa vie cette pathologie.
Un vaccin susceptible d’éviter 70 à 80 % de cette morbidité et de cette mortalité est clairement une bénédiction, même s’il est associé à un tout petit risque d’effets secondaires. Ne pas vacciner une jeune fille pour lui éviter ces effets secondaires, la priver d’un vaccin dont la dangerosité est comparable à celle d’un rhume, c’est à l’évidence un choix aberrant que, devenues femmes, les jeunes filles pourront reprocher à leurs parents et aux pouvoirs publics actuels. Au vu de l’enquête très large et rassurante menée par l’ANSM et la CNAMTS, il semble donc urgent de se fixer comme objectif d’augmenter la couverture vaccinale, et de ne pas continuer à laisser 70 % de nos adolescentes sans protection contre le papillomavirus.
Michel Cogné, professeur à la faculté de médecine de Limoges, administrateur de l’Institut universitaire de France, Institut Universitaire de France (IUF)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.