Tim Spector, King’s College London
Je me sentais nauséeux et faiblard. Ma tentative de suivre, durant une semaine, un régime intensif fondé sur l’huile d’olive ne se passait pas très bien. Il était huit heures du matin et, l’estomac vide, j’avais fini seulement la moitié du petit verre de liquide doré, spécialement choisi par mes amis espagnols : de l’huile d’olive extra-vierge de la plus douce variété arbequine. Plonger dans l’huile un morceau de pain chaud croustillant en prologue d’un bon dîner est une chose. La boire sans rien d’autre le matin en est une autre.
Pour le bien de la science et pour mon livre, j’essayais d’imiter le régime alimentaire des pêcheurs crétois des années 1960, dont on disait qu’ils prenaient un verre d’huile d’olive au petit déjeuner avant une dure journée de pêche ou de gardiennage des chèvres. On a suggéré que ces doses importantes d’huile d’olive étaient la source de leur longévité, malgré les quantités substantielles de graisses saturées qu’ils consommaient par voie de conséquence.
Pour tester cette histoire, j’avais décidé de remplacer mon petit-déjeuner habituel de yaourt et de fruit par la boisson couleur d’or. Une demi-heure plus tard, j’étais étalé par terre dans le couloir après avoir eu une faiblesse, ce qui n’était certainement pas une coïncidence. Au lieu de réaliser que j’aurais probablement dû me remplir d’abord l’estomac, j’abandonnais ma tentative héroïque…
En Grande-Bretagne et aux États-Unis, la consommation moyenne d’huile d’olive s’établit autour d’un litre par personne et par an ; la France, elle, en consomme 1,66 litre. Ce n’est pas grand-chose par rapport aux Grecs, aux Italiens et aux Espagnols qui en consomment plus de 13 litres. L’huile d’olive, hautement calorique, avec son cocktail de graisses saturées et insaturées a été dans le passé décriée par nombre de médecins qui la considéraient mauvaise pour la santé. Mais des études portant sur des populations européennes ont montré que ceux du Sud vivaient plus longtemps avec moins de maladies cardiaques malgré une consommation élevée de graisses. Il s’est avéré que l’huile d’olive en était responsable.
Diète méditerranéenne contre régime anti gras
Il y a 10 ans, une étude ambitieuse et originale a débuté en Espagne, avec la participation de 7500 hommes et femmes autour de 60 ans, moyennement en surpoids et à risque de maladies cardiaques et de diabète. Ces volontaires se sont vus attribuer, au hasard, l’un ou l’autre des régimes suivants : le premier, faible en graisses, recommandé par le corps médical dans la plupart des pays occidentaux et le second, un régime méditerranéen riche en graisses, avec un supplément d’huile d’olive extra ou de noix.
L’étude « PREDIMED » publiée en 2013 dans le New England Journal of Medicine a démontré que le groupe soumis au régime méditerranéen avait présenté un tiers de moins de pathologies cardio-vasculaires, de diabète et d’accidents vasculaires cérébraux que le groupe au régime faible en graisse. De plus, le premier groupe a perdu un peu de poids et a eu moins de pertes de mémoire. Les résultats les plus récents montrent également que les risques de cancer du sein ont été moindres, mais pour seulement un petit nombre de femmes.
En épluchant les données, les chercheurs ont découvert que le groupe au supplément d’huile d’olive s’est légèrement mieux porté que celui des suppléments de noix. En tout cas, tous les deux étaient clairement supérieurs aux régimes faibles en graisses. Cette recherche était nettement plus fiable que beaucoup d’autres centrées autour des régimes parce qu’elle a été conçue comme une étude « randomisée », portant sur un large groupe sur une longue période de temps, plutôt qu’un simple recueil de données sur quelques jours ou quelques semaines.
Les bénéfices sur la santé, cependant, ne peuvent être limités à un seul aliment ou un unique facteur mais relèvent d’une stratégie nutritionnelle plus globale. Plus de fibres, une belle variété de fruits et de légumes, des céréales complètes et des légumineuses, des yaourts et du fromage, de petites quantités de poisson et de viande, du vin rouge, des noix et des graines et de l’huile d’olive de bonne qualité, tous ces aliments jouent leur rôle. Cependant, les auteurs de PREDIMED pensent que l’huile d’olive elle-même est le facteur le plus puissant.
Les variétés les moins chères d’huile d’olive (celles qui sont étiquetées « classiques » ou juste « vierges ») n’ont pas montré de bénéfice sur la santé, l’huile devait être « extra vierge ». La différence entre les qualités d’huile ne réside pas seulement dans un degré d’acidité plus ou moins bas, dans la fraîcheur et la richesse du goût, mais aussi dans la présence de molécules chimiques appelées polyphénols. L’huile d’olive extra-vierge, en particulier celle pressée à froid, contient environ 30 polyphénols qui agissent comme des antioxydants, réduisant l’inflammation et aidant à limiter les effets de l’âge, particulièrement sur le coeur et le cerveau.
Jusqu’à récemment, on pensait que ces molécules antioxydantes agissaient directement sur les gènes des cellules sanguines. Mais il s’est avéré qu’elles sont aussi effectives sur l’ensemble des micro-organismes intestinaux que l’on appelle le microbiome. Il s’agit des trillions de bactéries qui vivent dans notre gros intestin. Elles se nourrissent des différents polyphénols et produisent d’autres petites molécules chimiques (notamment des acides gras dits à chaîne courte) qui atténuent l’inflammation et renforcent notre système immunitaire.
Plus il y a de bactéries, plus on rit
Les nutriments à haute teneur en gras complexes comme l’huile d’olive extra-vierge, quand ils sont consommés avec d’autres aliments riches en polyphénols, favorisent la présence d’une communauté de micro-organismes intestinaux riche et variée. De plus en plus, on s’aperçoit que cette diversité est importante pour notre santé. Originalement, l’étude PREDIMED n’avait pas pris en compte le microbiome directement (des recherches ultérieures l’ont, elles, intégré) ; mais un aspect des bénéfices impressionnants dû régime méditerranéen et de l’huile d’olive extra vierge est qu’ils fertilisent le terrain intestinal pour les microbes, améliorant ainsi notre santé dans ce domaine.
Ceux qui critiquent l’huile d’olive (en général en défendant des alternatives qui n’ont pas été évaluées) suggèrent que le point bas de température à laquelle la matière grasse fume et brûle est susceptible de produire de potentiels composés cancérigènes durant la cuisson. Mais en ce qui concerne les participants espagnols à l’étude, qui cuisinent régulièrement à l’huile d’olive, aucune conséquence évidente sur leur santé n’a pu être montrée.
Consommer de l’huile d’olive extra-vierge, élément d’un régime méditerranéen diversifié est clairement bénéfique aux adultes espagnols. Et, même si les gènes contrôlent partiellement nos préférences alimentaires, il n’y a pas de raison de penser que cela ne marcherait pas pour d’autres populations ou d’autres cultures. Si nous commençons à apprendre aux gens à apprécier tôt dans leur vie de l’huile d’olive de grande qualité, et changer son image, plutôt punitive, de produit à visée médicamenteuse, nous pourrions enrichir notre microbiome et améliorer la santé des personnes concernées. Même s’il y a peu de chances que nous arrivions un jour au niveau des Grecs.
Tim Spector, Professor of Genetic Epidemiology, King’s College London
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.