Quels sont les médicaments qui peuvent rendre impuissant ?
François Chast, Université Paris Descartes – USPC
Notre auteur, professeur de pharmacie, exerce à l’hôpital public. Dans son livre « Les médicaments en 100 questions » (Éditions Tallandier), dont l’article ci-dessous est une adaptation, il aborde sans tabou les effets secondaires de certains médicaments sur la sexualité masculine.
La sexualité, question centrale du bien-être, n’est pas assez souvent prise en compte quand il s’agit de suivre un traitement, pour le patient, ou de le prescrire, pour le médecin. Vaste sujet que l’on évoquera ici uniquement sous l’angle des médicaments qui induisent des « dysfonctionnements érectiles », autrement dit des problèmes d’érection chez les hommes.
L’érection est l’aboutissement d’un processus physiologique complexe conduisant à la relaxation des artères péniennes et au gonflement du pénis. À l’échelle cellulaire, la dernière étape est l’action du monoxyde d’azote (NO), un gaz libéré depuis l’endothélium (la paroi intérieure) des vaisseaux sanguins sous l’effet d’une stimulation sexuelle. Et tant que dure cette stimulation, l’érection peut être poursuivie, d’un point de vue physiologique.
L’action du NO, d’ailleurs, n’est pas propre au pénis. De manière plus générale, le système cardiovasculaire l’utilise comme molécule de signalisation pour permettre aux vaisseaux sanguins de se relâcher ou de se dilater – une découverte remontant à une trentaine d’années, qui valu à ses auteurs le prix Nobel de médecine en 1998.
Derrière ces troubles, des facteurs physiologiques, psychologiques…
Si des troubles de l’érection se présentent, ils peuvent être liés à des facteurs physiologiques, par exemple des troubles prostatiques, vasculaires ou neurologiques, le diabète, l’hypogonadisme (défaut de production de testostérone ou de sperme), ou des facteurs psychologiques comme le stress ou la dépression. Certains médicaments peuvent aussi être à l’origine de ces troubles. Il convient d’adapter les thérapeutiques si celles-ci viennent véritablement bouleverser la qualité de vie.
Ainsi, les causes médicamenteuses doivent être systématiquement examinées. D’abord parce qu’elles sont probablement plus fréquentes qu’on imagine. Ensuite, parce que ces causes sont plus simples à « gérer » que des troubles fonctionnels ou des maladies chroniques.
Quels médicaments peuvent être à l’origine de ces problèmes ? Les psychotropes, avec les antidépresseurs tricycliques comme l’imipramine (Tofranil) et la clomipramine (Anafranil), ou les sérotoninergiques comme la paroxétine (Deroxat) ou la fluoxétine (Prozac), le citalopram (Seroplex), sont fréquemment mis en accusation. Tout comme les neuroleptiques (Largactil, Haldol, Abilify).
Un certain nombre de médicaments antiandrogènes (Androcur) sont néfastes au développement de la sexualité. Plus généralement, la plupart des médicaments utilisés pour traiter le cancer de la prostate ont ce même effet.
Parfois en cause, des traitements contre les maladies cardiaques
Parmi les médicaments à visée cardiovasculaire, les anti-hypertenseurs sont souvent en cause. Toutes les familles de médicaments prescrits pour le traitement de l’hypertension artérielle (HTA) peuvent avoir un effet négatif sur le fonctionnement érectile. Les diurétiques thiazidiques, toujours prescrits en cas d’HTA, au même titre que les bêtabloquants, sont souvent redoutés pour cette raison par les hypertendus. Mais les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et les antagonistes calciques sont également fauteurs de troubles. D’autres médicaments à visée cardiovasculaire comme la digoxine, l’amiodarone (Cordarone) et le disopyramide (Rythmodan), ainsi que les statines, le sont également.
Ainsi, certains médicaments présentent une facette nuisible à l’épanouissement de la sexualité, trop souvent cachée au malade par le médecin prescripteur.
En aucun cas le traitement antihypertenseur ne devra être arrêté. D’autant que l’hypertension artérielle peut être, en elle-même, une des causes du trouble érectile. Difficile, en somme, de distinguer l’effet éventuel du médicament de celui de la maladie. On peut proposer dans cette situation un traitement alternatif, ou bien adjoindre sans difficulté du sildénafil, plus connu sous le nom de Viagra, et ce chaque fois que le patient le jugera utile. Le Viagra ou ses analogues comme Levitra ou Cialis ne sont pas contre-indiqués en association avec les antihypertenseurs.
Le Viagra et ses analogues, un recours possible
La commercialisation du Viagra, il y a une vingtaine d’années maintenant, a singulièrement modifié la relation entre médicament et sexualité. On a beaucoup disserté sur son utilisation ou celle de ses analogues pour « sécuriser » la sexualité masculine, qui elle-même « fidéliserait » le bonheur féminin… Cette molécule constitue, en tout cas, un recours possible en cas de trouble érectile lié à la prise d’un médicament dont on ne peut se passer.
Utiliser le Viagra n’est cependant pas toujours possible. La contre-indication est absolue en cas de prise d’un dérivé nitré (Trinitrine, Risordan ou Monicor, etc.) utilisé dans l’angine de poitrine ou à un alpha-bloquant (type Xatral) utilisé dans le traitement de l’hypertrophie bénigne de la prostate. Dans ce cas, le risque d’hypotension est sévère et potentiellement mortel – il faut donc oublier le Viagra.
Si l’abstinence devient un problème insurmontable, le patient peut toutefois tester l’effet d’une petite dose de Viagra sur sa tension artérielle en pratiquant une auto-mesure de sa tension une heure après l’absorption de Viagra ou de Levitra, deux heures après Cialis. Il doit alors vérifier que celle-ci n’est pas inférieure à 90/60 mm de mercure. Cette surveillance de la tension artérielle peut lui apprendre jusqu’où il ne doit pas aller en prenant deux médicaments séparément bien tolérés, mais dont l’association est potentiellement très dangereuse.
Parler de ses difficultés avec son médecin, ou échanger avec son pharmacien en choisissant un endroit discret de l’officine, est de nature à briser le tabou, comprendre la source de ses troubles et, le cas échéant, trouver comment contourner la difficulté.
François Chast, Professeur de pharmacie, Université Paris Descartes – USPC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.