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Cancer : des nanomédicaments pour cibler les tumeurs

Elias Fattal, Université Paris Sud – Université Paris-Saclay

Les nanomédicaments et leur mode d’administration révolutionnaire, relevant de l’infiniment petit, font beaucoup parler d’eux. Il ne s’agit plus, pour le patient, de recevoir le principe actif en avalant, par exemple, un comprimé. Cette fois, la molécule qui soigne est encapsulée dans une particule dont la taille est de l’ordre du milliardième de mètre, puis injectée au malade à l’aide d’une piqûre ou d’une perfusion.

Potentiellement, la nanomédecine pourrait concerner de nombreuses maladies. C’est cependant pour le cancer qu’elle est le plus avancée. Dans cette pathologie, 9 nanomédicaments sont déjà commercialisés à travers le monde, selon le recensement publié en novembre 2016 dans la revue Nature. Des essais cliniques sont actuellement menés pour 15 autres produits, dont 5 ont atteint la phase III – c’est-à-dire qu’ils sont proches d’une mise sur le marché.

Ce type de traitement offre deux avantages majeurs dans la lutte contre le cancer. Plus ciblé, il lèse moins les tissus sains que les chimiothérapies et les rayonnements. Et pénétrant au cœur des cellules tumorales, le principe actif se montre plus efficace. Le problème qui reste à résoudre, aujourd’hui, est d’en acheminer la quantité maximum jusqu’aux cellules cancéreuses, c’est-à-dire d’en perdre le moins possible en route.

 

Des traitements actuels toxiques pour les cellules saines

Dans le cancer, le développement de nouveaux médicaments doit relever plusieurs défis de taille. En effet, les chimiothérapies et les rayonnements utilisés actuellement empêchent la prolifération des cellules cancéreuses mais induisent aussi une toxicité vis-à-vis des cellules saines. Pour cette raison, ces traitements doivent être dosés de manière raisonnable au détriment, parfois, de leur efficacité.

Par ailleurs, en cas de cancer avec métastases, plus de 90 % des patients voient leur traitement échouer à cause de l’apparition d’une résistance. Autrement dit, le patrimoine génétique des cellules cancéreuses se modifie, leur permettant de s’opposer à l’action des anticancéreux.

La nanomédecine doit permettre de surmonter bon nombre de ces obstacles. Elle consiste à transporter à l’intérieur du corps une molécule ayant des propriétés pharmacologiques grâce à une nanotechnologie (ou nanoparticule), c’est à dire des particules minuscules servant de véhicule. Elles sont constituées de matériaux inertes vis-à-vis de l’organisme. Ceux-ci sont généralement biodégradables. Dans ce cas, les produits issus de la dégradation sont excrétés par le corps humain – et doivent être dénués de toxicité.

 

Des particules injectées dans le système sanguin

Ces nanoparticules sont injectées dans le système sanguin du patient, via une perfusion par exemple. Les nanoparticules acheminent leur cargaison vers les cellules cancéreuses, ce qui évite la majorité des effets délétères que pourrait avoir le médicament sur les tissus sains. Par ailleurs, lorsqu’une substance active se présente sous la forme d’un nanomédicament, elle est encapsulée donc protégée contre la dégradation tout au long de son voyage dans l’organisme. Ces particules peuvent toutefois être reconnues comme étrangères par le système immunitaire, risquant alors d’être détruites dans des globules blancs appelés macrophages, notamment au niveau du foie.

Pour remédier à ce problème, les chercheurs procèdent à une simple modification de la surface des nanoparticules, ce qui permet de les rendre « furtives » vis-à-vis de nos défenses immunitaires. Celles-ci sont généralement qualifiées de nanoparticules de deuxième génération.

 

Le passage à travers la paroi des vaisseaux sanguins facilité par leur petite taille

Une fois les nanoparticules parvenues au voisinage de la tumeur, elles doivent encore franchir la paroi des vaisseaux sanguins servant à l’irriguer et à l’alimenter. Ces nouveaux vaisseaux sont heureusement plus perméables que les vaisseaux normaux. La toute petite dimension des particules leur permet de passer facilement, particulièrement lorsqu’elles circulent pendant longtemps dans le sang – augmentant ainsi leurs chances de rencontrer ces vaisseaux poreux.

Ainsi, la longévité de ces particules leur permet de s’accumuler au cœur même de la tumeur. Ces nanovéhicules pénètrent dans les cellules cancéreuses et y libèrent leur substance aux propriétés pharmacologiques.

En France, notre équipe de l’institut Galien relevant de l’université Paris-Sud (rattachée à Paris-Saclay) et du CNRS s’est intéressée à un cancer courant du foie, le carcinome hépatocellulaire résistant. Les chercheurs ont développé un nanomédicament contre cette pathologie, baptisé Livatag. Il est actuellement en essai clinique de phase III. Ce médicament a récemment reçu de la FDA, l’autorité sanitaire des États-Unis, le statut « fast track », une procédure accélérée d’autorisation réservée aux traitements concernant une pathologie sévère ou mettant en jeu le pronostic vital des patients.

Les essais réalisés chez l’animal montrent que ce mode de délivrance spécifique du médicament réduit la toxicité et améliore l’efficacité pharmacologique. Un taux de survie de 88,9 % a été observé après 18 mois de traitement à base de nanomédicament, contre 54,5 % avec un traitement plus classique, selon les résultats de l’essai.

 

Des têtes chercheuses pour guider les nanomédicaments vers les cellules cancéreuses

Pour les chercheurs cependant, le Graal consiste à rendre le nanomédicament plus sélectif vis-à-vis des cellules cancéreuses pour le guider vers sa cible, tel un missile à tête chercheuse. Pour cela, comme l’ont montré les travaux de notre équipe, on peut ajouter à la surface des nanoparticules des molécules reconnaissant uniquement les cellules cancéreuses. Les chercheurs explorent cette piste de nanoparticules de troisième génération, avec comme objectif de cibler des cellules souches cancéreuses hautement résistantes à la chimiothérapie classique.

Une autre approche, développée là aussi par notre équipe, consiste à faire reconnaître les nanomédicaments par des molécules naturelles de l’organisme qui vont les conduire vers leur cible. Certaines nanoparticules lipidiques permettent ce « co-voiturage ». Elles vont s’associer à des lipides du corps humain pour être guidées jusqu’aux cellules tumorales qui ont des récepteurs pour ces molécules.

Parmi les pistes de progrès, les scientifiques tentent d’associer aux nanomédicaments des méthodes physiques permettant d’augmenter la vitesse et la quantité de médicament libérée au niveau de la tumeur. Ainsi, l’administration du médicament peut être déclenchée à distance par l’émission d’ultrasons.

 

Chauffer la tumeur pour la détruire

Les nanomédicaments sont aussi utilisés comme source de chaleur pour augmenter l’efficacité des traitements classiques de radiothérapie ou chimiothérapie. En effet, lorsque les cellules du corps sont exposées à des températures supérieures à la normale, des changements se produisent, les rendant plus sensibles aux effets des séances de rayons ou de l’administration d’une chimiothérapie.

En se basant sur ce concept, la société française Nanobiotix a conçu une nanoparticule baptisée NanoXray, constituée d’oxyde de hafnium. Ce composé est capable d’émettre de nombreux électrons lorsqu’il reçoit des rayons X. Cela provoque un échauffement important et amplifie ainsi de façon importante l’efficacité de la radiothérapie sur une tumeur, réduisant la dose nécessaire de radiations.

C’est dans ce contexte porteur que le projet NanoTheRad, regroupant l’Université Paris-Saclay, le CEA et l’Institut Curie, vient de commencer. Il consistera principalement à allier la radiothérapie avec des nanoparticules capables de rendre les tumeurs plus sensibles aux radiations, et d’évaluer dans un premier temps cette approche chez le petit animal. Ce programme, réunissant de nombreuses équipes y compris des médecins cliniciens, devrait déboucher sur des applications chez les patients d’ici quelques années.


The ConversationCet article est publié en partenariat avec la revue L’Édition de l’Université Paris-Saclay.

Elias Fattal, Professeur de pharmacie galénique, directeur de l’Institut Galien, Université Paris Sud – Université Paris-Saclay

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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