Les dinosaures ne sont pas morts dans les cendres. Mais sous la boue
Chris Rogers, University of Bristol
La découverte de centaines de fossiles de dinosaures extrêmement bien conservés en Chine dans les années 1990, certains dans les postures du moment même de leur mort, a tenu les scientifiques occupés. Leurs travaux ont permis de comparer leur fin à celle de la cité romaine de Pompéi, où les citoyens avaient été enfouis sous les cendres résultant de l’éruption volcanique du Vésuve.
Mais, même s’il s’agit là d’une comparaison plausible, à regarder de plus près les sédiments entourant la petite ville de Lujiatun dans le nord-est de la Chine, où les fossiles ont été mis au jour, les cendres volcaniques pourraient bien ne pas être la cause de la mort des dinosaures.
Des restes remarquables
Les fossiles, figés dans le temps en squelettes en trois dimensions, sont véritablement uniques au vu de la plupart des autres dinosaures et oiseaux fossilisés de cette région pour la même période (il y 125 millions d’années). Ces derniers sont aplatis, même si l’on peut discerner des traces de plumes et de poils.
Les dinosaures, les oiseaux et les petits mammifères de Lujiatun ont été trouvés parmi des rochers contenant de la cendre volcanique. Initialement, il semblait que tous avaient été enterrés ensemble après qu’une énorme éruption avait créé un nuage de cendres catastrophique.
Un dinosaure à corne de la taille d’un chien, nommé Psittacosaurus est le fossile le plus commun trouvé à Lujiatun. Les scientifiques ont déterré à la fois des individus isolés, et des petits groupes de cinq ou six juvéniles, semblant avoir été enfouis ensemble. La découverte d’un autre dinosaure,Mei long, qui a été retrouvé courbé dans une position qui rappelle celle d’un oiseau couché a permis de suggérer que les animaux avaient été empoisonnés par des gaz volcaniques toxiques, puis enfouis.
Récemment, différents groupes de chercheurs ont examiné les sédiments qui ont révélé les fossiles de Lujiatun. Ils ont émis l’hypothèse que des coulées boueuses d’origine volcanique, dites lahars – mixture destructrice de débris éjectés d’un volcan et d’eau bouillante – ont submergé l’un des groupes de jeunes Psittacosaurus, tandis que l’autre spécimen de Psittacosaurus aurait été victime d’un type différent de débris volcaniques. Cependant, nous ne connaissons pas précisément la localisation et le type de roches d’où provenaient les débris, il est donc difficile d’avoir une certitude.
C’est là le symptôme d’un problème plus large de la paléontologie chinoise, où beaucoup de fossiles sont tirés du sol par des collecteurs locaux. Les fossiles se retrouvent dans les musées sans les informations importantes sur le lieu exact des trouvailles.
Correspondances entre fossiles et roches
À l’été 2013, moi et mes collègues avons effectué une visite au village de Lujiatun. Nous voulions savoir d’où venaient exactement les fossiles et s’ils provenaient d’un seul événement de destruction.
Nous avons réalisé une étude détaillée des sédiments riches en fossiles entourant le village. Après avoir identifié les roches d’où on avait tiré les fossiles, il est devenu clair qu’ils avaient en réalité été recouverts de multiples couches, signifiant plusieurs différents enterrements.
L’examen détaillé des roches sur le terrain et le travail au microscope ont montré que les sédiments étaient très riches en matériaux volcaniques, mais ne possédaient pas la combinaison de caractéristiques que l’on aurait pu espérer s’il s’agissait d’un dépôt produit par une éruption de cendres volcaniques (tombées des airs), par exemple, d’abondants morceaux de roche fondue.
Nous avons découvert que les sédiments provenaient essentiellement d’une source volcanique, mais avaient été, après, transportés par des flots d’eau. La preuve de cela réside dans les limites graduées du terrain et des fragments arrondis de roches. De même, certains ossements portent des signes montrant qu’ils ont été transportés.
Ainsi, notre interprétation pose que Lujiatun n’est pas du tout un Pompéi chinois. Certains dinosaures ont pu être tués par des éruptions fréquentes dans cette région, mais la plupart des fossiles trouvés sont des animaux et des groupes qui ont été submergés par des amas de cendres et des morceaux de roches volcaniques, voguant de-ci de-là, emmenés par des trombes d’eau. Les animaux ont été emportés par un flot tournant, à l’aspect de porridge, qui les a noyés dans son mouvement rapide.
Certains animaux conservés dans les dépôts de Lujiatun semblent avoir été en position de repos au moment de leur mort, mais il est clair que cela n’est pas le cas pour tous. Même pour ceux que l’on a retrouvés en boule : on peut discuter du fait qu’il s’agisse réellement d’une posture de sommeil. Puisqu’il n’y a pas de preuve que les multiples enterrements soient liés directement à un épisode volcanique ou d’autres éventuelles causes d’émissions de gaz toxique, il reste à établir si ces animaux étaient vivants lorsqu’ils ont été enfouis. Mais il semble assez clair, au vu de l’intégrité des spécimens, qu’ils ont été rapidement enterrés et pas transportés sur des distances considérables.
Les roches elles-mêmes contiennent une masse d’informations sur l’environnement où des dinosaures comme les Psittacosaurus vivaient et mourraient. De plus, des études comme la nôtre aident à souligner qu’il est important de considérer un terrain de fouilles dans sa globalité, et le caractère crucial du travail de terrain. Il est parfois bien facile de croire une belle histoire, bien racontée. Mais le monde est souvent plus complexe.
Chris Rogers, PhD student in Geology, University of Bristol
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.