Espèces invasives : une menace grandissante
Katelyn Faulkner, University of Pretoria; Brett Hurley, University of Pretoria et Mark Robertson, University of Pretoria
Imaginez : vous rentrez en France après un séjour en Ouganda et en défaisant vos bagages, vous remarquez quelque chose que vous n’avez pas emporté avec vous ; là, au milieu des tee-shirts, vous apercevez un insecte peu familier. A-t-il fait tout le voyage avec vous depuis l’Afrique ? Ce n’est pas bien grave, pensez-vous. Après tout, cette toute petite bête ne peut pas faire de mal…
Que ce soit intentionnel ou non, il est fréquent que les hommes fassent voyager des espèces jusqu’à des régions où elles ne se trouvaient pas originellement. Et que ce soit avec l’aide des hommes ou en se débrouillant toutes seules (en volant, par exemple), ces espèces ont la capacité de se propager à travers les continents.
Ce développement, parfois rapide, est difficile à empêcher et peut avoir des conséquences écologiques, économiques et sociaux importantes.
En Afrique, il s’agit d’un phénomène grandissant. Depuis 2000, les pays du continent ont par exemple vu débarquer des insectes ravageurs d’eucalyptus en provenance d’Afrique du Sud. La coopération, la communication et le partage d’informations et de compétences sont indispensables pour faire face à ce problème.
Grand capucin du maïs et tilapia du Mozambique
De nombreuses espèces exotiques, végétales ou animales, ont été introduites en Afrique à partir d’autres régions du continent puis elles se sont propagées de pays en pays, laissant fréquemment derrière elles d’énormes dégâts.
Prenons le cas du grand capucin du maïs (Prostephanus truncatus), un coléoptère dont on pense qu’il a été introduit en Afrique via des graines importées depuis le Mexique ou l’Amérique centrale. Il a rejoint le Togo vers 1981, la Tanzanie vers 1984 et la Guinée vers 1987 ; il s’est ensuite propagé à travers le continent. Deux décennies lui auront suffi pour atteindre l’Afrique du Sud.
Le grand capucin du maïs s’attaque comme son nom l’indique aux cultures de maïs et aussi au manioc. Il constitue donc une menace pour la sécurité alimentaire, tout particulièrement pour les plus pauvres. Souvent, il s’en prend aux réserves de maïs stockées par les agriculteurs. Ceux-ci, en plus de perdre le bénéfice de la vente d’éventuels excédents, se voient contraints de racheter du maïs.
Nombre d’espèces invasives sont originaires du continent, à l’image du tilapia du Mozambique (Oreochromis mossambicus). Ce poisson peuplait à l’origine les rivières de la côte est de l’Afrique australe. Mais des pêcheurs l’ont transporté, et on peut dorénavant le trouver dans des cours d’eau d’Afrique du Sud occidentale et méridionale, ainsi qu’en Namibie.
Très prisé des pêcheurs, le tilapia du Mozambique peut cependant représenter une menace pour les poissons indigènes. Sa responsabilité est d’ailleurs mise en avant pour expliquer la disparition d’espèces dans certaines régions africaines.
La propagation d’espèces invasives en Afrique n’a rien d’une nouveauté. Dès 760 apr. J.-C., des humains auraient accidentellement introduit la luzerne polymorphe (Medicago polymorpha), une plante d’Afrique du Nord jusqu’en Afrique du Sud.
Une menace croissante
Ces dernières années, plusieurs espèces invasives se sont propagées extrêmement rapidement à travers l’Afrique, menaçant très sérieusement la sécurité alimentaire et les sources de revenus des populations.
La chenille légionnaire (Spodoptera frugiperda) est l’une d’entre elles. Son apparition sur le continent a été détectée pour la première fois en janvier 2016 au Nigeria. En une année, elle s’est répandue, atteignant en janvier dernier l’Afrique du Sud.
Au stade adulte, ces chenilles deviennent des papillons au vol particulièrement endurant ; on pense d’ailleurs qu’elles se seraient réparties sur le territoire africain en volant. Si ces insectes s’attaquent à une grande variété de cultures, ce sont les producteurs céréaliers qui les craignent tout particulièrement, car elles sont extrêmement difficiles à combattre.
Un autre exemple avec la Leptocybe invasa, une guêpe à galles originaire d’Australie. En 2000, cette espèce a été repérée en Israël puis peu de temps après en Ouganda et au Kenya. À partir de là, sa progression sur le continent africain a été très rapide, touchant le Zimbabwe, le Mozambique et la Tanzanie pour enfin apparaître en Afrique du Sud en 2007. On pense que cet insecte a probablement rejoint Israël via le transport de plantes ou des déplacements de voyageurs. Et c’est sans doute de la même manière qu’il s’est déployé sur le continent africain.
Cette guêpe à galles s’attaque aux eucalyptus en provoquant des gonflements et des excroissances sur les feuilles, pouvant entraîner la mort de l’arbre. Or les eucalyptus constituent une source importante de revenus et de combustibles pour nombre de populations africaines.
Faire cause commune
Quand une espèce invasive est introduite dans un pays africain, sa propagation aux autres régions est presque inévitable, les contrôles aux frontières étant peu stricts.
Mais ceci pourrait être assez aisément évité avec la mise en place de dispositifs de biosécurité. Ceux-ci sont très répandus en Australie et en Nouvelle-Zélande ; ils consistent en un contrôle technique des personnes et des biens qui entrent dans le pays pour repérer les espèces invasives.
Mais même de tels systèmes ne peuvent garantir que les espèces ne se déploieront pas. Or, pour être le plus efficace possible, il faudrait que les différents États africains travaillent de concert et échangent des informations et des compétences. Une telle démarche permettrait également de se préparer à la lutte contre des espèces déjà installées.
Il s’agit ici d’un défi de taille : pour qu’un pays puisse se protéger efficacement de ces espèces, il faut que ses voisins en fassent autant. Mais cette action commune est aujourd’hui la clé du succès.
Katelyn Faulkner, Postdoctoral research fellow, University of Pretoria; Brett Hurley, Senior Lecturer Zoology and Entomology, University of Pretoria et Mark Robertson, Associate Professor Zoology & Entomology, University of Pretoria
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.