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Quand Churchill s’intéressait à la vie extraterrestre

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Portrait de Winston Churchill. Dave Strom/Flickr, CC BY-SA

Elizabeth Tasker, Japan Aerospace Exploration Agency (JAXA)

Alors qu’il était enfoui dans les archives d’un musée du Missouri, un article sur la recherche de la vie extraterrestre vient de sortir de l’ombre, 78 ans après sa rédaction. Son improbable auteur n’est autre que le célèbre Premier ministre britannique Winston Churchill, qui l’a écrit à la veille de la 2de guerre mondiale.

Si, dans le contexte de la guerre, Churchill trouvait consolatoire la perspective d’une vie extraterrestre, la découverte d’une pléthore d’exoplanètes aurait-elle vraiment été de nature à le rassurer ?

Cet essai de 11 pages – intitulé « Sommes-nous seuls dans l’univers ? » – était classé depuis les années 1980 dans les archives du musée National Churchill de Fulton (Missouri), jusqu’à ce que l’astrophysicien Mario Livio l’exhume et parle de sa découverte dans la revue Nature (en date du 15 février 2017).

Il y relève la modernité de ce texte inédit, qui semble toujours d’actualité. Churchill spécule en effet sur les conditions nécessaires à l’apparition la vie, mais note la difficulté d’en trouver des preuves, en raison des immenses distances qui séparent les étoiles.

C’est à coups de discours enflammés et de mécénat scientifique que Churchill a combattu les ténèbres de la guerre. Grâce à son soutien indéfectible envers les sciences et la technologie, le radar a été inventé : une avancée déterminante dans la victoire contre l’Allemagne nazie, qui provoqua aussi un formidable bond en avant de la recherche scientifique dans la Grande-Bretagne d’après-guerre.

Les écrits de Churchill sur la science prouvent qu’il était véritablement visionnaire. En 1931, il publia Fifty Years Hence, un essai dans lequel il détaillait bon nombre de technologies qui furent développées par la suite, de la bombe atomique aux communications sans fil, en passant par les aliments – ou les hommes – génétiquement modifiés. Mais tandis que son pays vivait sous la menace d’une nouvelle guerre mondiale, Churchill se pencha sur la possibilité d’une vie extraterrestre.

 

Dans l’ombre de la guerre

En ces temps troublés, Churchill n’était pas le seul à s’intéresser à l’hypothèse de la vie extraterrestre.

En 1939, tandis qu’il s’apprêtait à écrire sur le sujet, une adaptation radio du roman de HG Wells, La guerre des mondes, fut diffusée aux États-Unis. À l’époque, la presse annonça que bon nombre d’Américains avaient paniqué suite à la description plausible d’une invasion martienne à la radio. En réalité, le nombre de personnes qui y ont cru n’était pas si conséquent.

Le gouvernement britannique, de son côté, prenait au sérieux la perspective d’une rencontre avec la vie extraterrestre, recevant chaque semaine des briefings ministériels sur les témoignages liés à l’apparition d’ovnis.

Redoutant un phénomène d’hystérie collective en cas de soupçon de contact extraterrestre, Churchill a même interdit que l’on communique sur l’apparition inexpliquée d’un bombardier de la Royal Air Force, pendant la guerre.

Face à la peur de la destruction dans le contexte de la guerre mondiale, l’intérêt croissant pour la vie extraterrestre dénotait sans doute une forme d’espoir.

Le gouvernement britannique prenait au sérieux l’idée d’une rencontre avec la vie extraterrestre. Andrea Passoni/Flickr, CC BY

La découverte éventuelle d’une civilisation extraterrestre permet en effet de croire que les différences idéologiques peuvent être surmontées. Si la vie existe ailleurs, ne pourrions-nous pas un jour nous installer partout dans la galaxie plutôt que de nous battre pour une seule et même planète ? Peut-être même que la découverte de la vie extraterrestre signifierait que rien de ce que nous avons fait sur la terre n’est en mesure d’entraver l’apparition de la vie.

Churchill lui-même semblait souscrire à cette dernière idée :

« Je ne suis pas suffisamment impressionné par le succès de notre civilisation pour penser que la Terre est le seul endroit qui accueille la vie, des créatures intelligentes dans cet immense Univers, ou que nous sommes les êtres les plus avancés physiquement et mentalement. »
 

Une profusion de nouveaux mondes

Si Churchill était le premier ministre actuel, le niveau d’incertitude politique et économique ne serait pas tellement différent. Pourtant, pendant les 78 ans qui se sont écoulés depuis la rédaction de son essai sur la vie extraterrestre, nous avons découvert 3500 exoplanètes en orbite autour d’autres étoiles que le soleil, alors qu’à son époque, on n’en connaissait aucune.

Si Churchill prenait la plume aujourd’hui – ou plutôt, son stylet et sa tablette – il saurait que les planètes peuvent se former autour de presque toutes les étoiles.

La découverte de cette profusion de nouveaux mondes l’aurait encouragé à poursuivre sa réflexion – et de fait, certaines parties de son essai restent pertinentes aux yeux de la science moderne de l’étude des planètes. À titre d’exemple, il avait déjà repéré l’importance de l’eau pour le développement de la vie, et noté que la distance de la Terre par rapport au soleil permettait de maintenir une température de surface capable de maintenir l’eau à l’état liquide.

Il aborde même le fait que la gravité d’une planète pourrait déterminer son atmosphère, un point que l’on oublie trop souvent quand on tente de déterminer à quel point une autre planète ressemble à la notre.

À ces éléments, un Churchill contemporain aurait ajouté l’importance d’identifier les biosignatures, sous forme de changements observables dans l’atmosphère d’une planète, ou de réflexions lumineuses qui peuvent signaler l’influence d’un organisme vivant. La prochaine génération de télescopes vise à recueillir des données en ce sens.

En observant la lumière des étoiles qui traversent l’atmosphère d’une planète, on peut déterminer la composition des gaz qui la composent aux longueurs d’onde manquantes, absorbées par différentes molécules. L’imagerie directe d’une planète peut également révéler des variations saisonnières de la lumière réfléchie à la surface, à mesure que la vie végétale s’épanouit et meurt.

 

Où sont-ils donc ?

Mais les pensées de Churchill auraient pu prendre un tour plus sombre : pourquoi n’y a- t il aucun signe de vie intelligente dans un univers rempli de planètes ? La question « Où sont-ils donc ? » fut posée par Enrico Fermi au cours d’un déjeuner avec ses collègues scientifiques, au début des années 1950. Cette discussion donna naissance au Paradoxe de Fermi : s’il y avait des civilisations extraterrestres, leurs représentants devraient déjà être chez nous. Où sont-ils donc ? Diverses hypothèses ont été proposées afin de résoudre le paradoxe, parmi lesquelles celle d’un « grand filtre », un peu comme un goulot d’étranglement, qui bloquerait les évolutions nécessaires à l’apparition de la vie. La question est alors de savoir si ce grand filtre se trouve dans le passé ou dans le futur. Est-ce que le grand filtre est une étape que la terre a réussi à franchir ou un obstacle qui nous empêchera de nous répandre dans la galaxie ?

L’hypothèse d’un grand filtre dans le passé suppose que l’apparition de la vie est extrêmement difficile. Certaines molécules organiques comme les acides aminés et les nucléobases peuvent se former et atterrir sur les planètes terrestres, charriées par les météorites. Mais leur transformation en molécules plus complexes nécessite des conditions très précises qui sont rares dans l’univers.

La recherche de preuves de la vie sur Mars, qui continue à susciter de l’intérêt, est liée à ce dilemme. Si nous découvrions ne serait-ce qu’une autre forme de vie dans le système solaire – même si elle n’a pas survécu – cela signifierait qu’un tel goulot d’étranglement de l’émergence de la vie n’existe pas, en tous cas pas dans le passé.

Il se pourrait aussi que la vie elle-même soit nécessaire pour maintenir des conditions habitables sur une planète. Selon l’hypothèse du « goulot de Gaïa », la vie doit évoluer assez rapidement pour réguler l’atmosphère de la planète et stabiliser les conditions nécessaires à l’apparition de l’eau sous forme liquide. Une vie qui se développerait trop lentement finirait par s’éteindre, de même que le monde qui l’abrite.

Selon une troisième hypothèse, la vie peut se développer assez facilement, mais l’évolution aboutit rarement au niveau de rationalité requise pour créer une forme d’intelligence comme la nôtre.

Si l’un de ces filtres passés a existé, il n’a pas empêché l’homme de prospérer. Mais il se pourrait aussi que le filtre soit devant nous, nous empêchant d’accéder à une civilisation plus avancée.

Selon ce sombre scénario, de nombreuses planètes pourraient avoir développé une vie intelligente qui s’est inévitablement auto-détruite avant d’acquérir la capacité de se répandre dans la galaxie. Si Churchill avait envisagé ce scénario à la veille de la Seconde Guerre mondiale, il l’aurait peut-être considéré comme une explication au paradoxe de Fermi.

The ConversationChurchill est entré dans l’histoire en tant que chef emblématique qui a mené la Grande-Bretagne à la victoire pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il avait aussi à cœur de permettre aux sciences de s’épanouir. Et si nous ne voulons continuer à évoluer, nous avons tout intérêt à suivre la voie qu’il a tracée.

Elizabeth Tasker, Associate Professor, Japan Aerospace Exploration Agency (JAXA)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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