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La transplantation fécale peut vous soigner, ne faites pas la grimace !

Tim SpectorKing’s College London

La plupart d’entre nous ont déjà souffert de diarrhée, parfois baptisée « Delhi belly » – souvent lors d’un voyage –, et passé 48 heures au lit ou sur le siège des toilettes. Des études ont montré que dans les cas sévères, ces infections peuvent parfois transformer votre flore intestinale de façon permanente. Et au lieu d’attendre que les symptômes disparaissent, nous avons de plus en plus tendance à recourir à des antibiotiques à large spectre qui tuent ces microbes mais qui peuvent également entraîner des dommages collatéraux et affaiblir notre résistance lors de futures infections.

Concernant ces désordres, une voie nouvelle est en train de s’ouvrir. Dans 5 ans, nous pourrons avaler un comprimé pour guérir et remettre notre intestin en bon état de marche grâce à des selles congelées mises en réserve lorsque nous étions en bonne santé. Récemment, j’ai visité à Boston les laboratoires de la plus grande banque de selles du monde, Openbiome, une organisation à but non lucratif. Chaque semaine, ils envoient en moyenne plus de 50 échantillons de selles congelées à 430 centres américains spécialisés dans le traitement d’une infection, potentiellement mortelle, causée par une bactérie, Clostridium difficile. Cette maladie est également connue sous le nom d’infection à C. diff ou CDI. Causée par l’usage d’antibiotiques, elle touche 100 000 Américains et en tue 14 000 par an et est également un problème en France. CDI est habituellement provoquée par une infection initiale modérée suivie d’une rechute chez un malade sur quatre. Tout cela à cause d’un traitement aux antibiotiques qui détruit la flore microbienne et permet à la CDI de proliférer.

Le traitement traditionnel de la CDI passe par l’utilisation d’antibiotiques puissants. Cependant, l’étude de trois essais randomisés concernant le traitement de plus de 500 patients assorti d’un commentaire publié dans le British Medical Journal –, aboutit à cette conclusion : du moment qu’elles proviennent d’un donneur sain et qu’elles soient à l’état liquide ou qu’on les ait congelées, ces selles introduites avec leur flore microbienne dans le colon d’un malade ont donné plus de 85 % de résultats positifs contre 20 à 25 % seulement avec l’usage d’antibiotiques. Une seule étude a été interrompue. On l’a jugée contraire à l’éthique car elle avait continué à s’appuyer sur l’utilisation des antibiotiques. Jusqu’ici, dans plus de 6 500 transplantations fécales supervisées aux États-Unis, peu d’effets nocifs relevés, y compris chez des malades gravement atteints, à l’immunité affaiblie ou d’un âge avancé.

Opportunité fécale

Les transplantations de selles existent en Chine depuis le IVe siècle, il y a plus de 1 700 ans. Mais la plupart des médecins n’en avaient jamais entendu parler jusqu’à un essai clinique rendu public il y a deux ans. La transplantation de selles avec leur flore microbienne, appelée officiellement transplantation de microbiote fécal (FMT), relève d’un procédé tout à fait simple. À Openbiome, on choisit un donneur sain parmi des volontaires qu’on a soumis à une série de questionnaires rigoureux et à des essais cliniques (ce qui élimine 97 % de candidats espérant se faire facilement de l’argent). Si bien que ces quelques « super-donneurs » sont très demandés. Leurs selles sont diluées et conservées par cryogénisation, ce qui assure leur congélation de façon sécurisée.

Elles sont ensuite emballées sous trois formes distinctes : un mélange concentré qu’on injectera dans l’estomac à l’aide d’un tube par la voie nasale ; une quantité plus importante à introduire dans le rectum lors d’une coloscopie ou d’un lavement ; enfin, un nouveau produit lancé très récemment, à savoir trente capsules résistantes à l’acide. Surnommées « crapsules », elles sont apparemment tout aussi efficaces et simplifient les procédures médicales.

L’auteur, Tim Spector, inspecte le freezer. Tim Spector, Author provided

La transplantation fécale microbienne dans le cas d’infections à C. diff est désormais approuvée, avec prudence, par des équipes médicales spécialisées. En Grande-Bretagne, par le biais de l’Institut national pour l’excellence clinique, même si les organismes nationaux de régulation ont eu du mal pour savoir comment la classer. La flore microbienne dans nos selles est-elle un tissu, un outil médical ou un médicament ? Comme nos intestins contiennent dix fois plus de cellules microbiennes et 150 fois plus de gènes que l’ensemble de notre corps, on peut aussi se poser la question de savoir si ce vivant est vraiment notre. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, cette flore microbienne n’est pas cataloguée comme un tissu (idem pour les transfusions sanguines) mais comme un médicament, assorti d’une série d’exemptions, afin qu’elle puisse être utilisée.

Où en est-on actuellement ? Des pays ont beaucoup de retard sur les États-Unis. Le Royaume-Uni compte seulement sept centres spécialisés (dont un de statut privé) et, bizarrement, les règlements actuels interdisent l’importation d’échantillons congelés en provenance des USA. Il existe une demande croissante de FMT de la part des cliniciens et du public pour traiter d’autres maladies courantes liées à l’altération des bactéries intestinales. Des essais cliniques sont d’ores et déjà en cours visant la maladie de Crohn, les colites, le syndrome du colon irritable et même l’autisme. La FMT serait aussi utile dans le cas d’allergies sévères ou d’autres maladies immunes et elle pourrait même jouer un rôle positif dans les chimiothérapies.

Des microbes contre l’obésité

La probable question numéro un est de savoir si la FMT peut être utilisée pour combattre l’obésité. Le seul traitement à long terme à avoir fait ses preuves contre les formes sévères d’obésité et le diabète, c’est la chirurgie bariatrique, où des morceaux d’intestin sont enlevés puis reconnectés.

Or, il est de plus en plus clair qu’un changement bactérien peut entraîner, en clinique, des effets bénéfiques et rapides. On sait maintenant que chez les cobayes de laboratoire, la FMT peut traiter et prévenir l’obésité mais des essais sur des humains ont déçu. Même si la FMT augmente la sensibilité à l’insuline, le poids ne change pas tellement. Nous manquons, jusqu’à présent, de preuves solides des essais cliniques menés sur toutes les maladies courantes et on s’accorde à dire qu’elles seront beaucoup plus difficiles à traiter que l’affection à C. diff.

Dans de grands centres comme Openbiome, le risque d’infection est réduit au minimum grâce à des examens de laboratoire et une conservation des échantillons pendant trois mois, ainsi que par un examen complémentaire des donneurs juste avant le prélèvement. Cependant, d’autres risques potentiels sont à considérer. Selon divers rapports, des malades qui avaient reçu de la FMT pour contrer des infections sévères ont guéri mais se sont mis à grossir de façon conséquente. Cela vient peut-être de leurs donneurs en surcharge pondérale. À l’heure actuelle, on ne prend donc plus de donneurs en surpoids. De même, nos sentiments et nos angoisses peuvent avoir comme origine une série de substances neurochimiques produites par nos microbes, y compris la dopamine et la sérotonine. Les expériences menées sur les souris ont montré que l’anxiété peut être transmise par les microbes. À l’avenir, des contrôles de santé mentale pourraient devenir obligatoires pour les donneurs.

Reste une crainte, à savoir que la transplantation de selles apparaisse comme un moyen universel de guérir toutes les maladies. Nous ignorons encore le bon dosage, le bon timing et notre capacité à rendre l’environnement de nos intestins plus stable et équilibré. Il nous faudrait aussi associer donneurs et récipiendaires en vue d’autres transplantations. Car notre flore intestinale est, dans une certaine mesure, dépendante de nos propres gènes et la communauté microbienne est unique pour chaque individu.

À l’avenir, nous utiliserons probablement des donneurs bien plus sûrs : nous-mêmes. Nous allons mettre en réserve, quand nous sommes en bonne santé, nos propres échantillons de selles pour nous en servir plus tard. Actuellement, les selles conservées ne sont utilisées qu’au bénéfice de patients à haut risque en attente d’une transplantation de la moelle épinière. Bizarrement pourtant, même s’il est légal aux États-Unis de stocker ses propres échantillons, vous ne pouvez pas vous les faire réimplanter sans un certificat médical compliqué qui vous exempte d’essai clinique.

Il s’agit là d’un domaine qui change rapidement. Ce n’est plus une blague pour les milliers de patients à qui on a sauvé la vie et nous avons un besoin urgent de davantage d’études, d’experts et de règlements raisonnables et souples. Le public se montre de plus en plus sceptique quand on lui présente des traitements médicamenteux. Et il est urgent qu’il puisse bénéficier de conseils autorisés, d’une expérimentation microbienne fiable et d’une totale sécurité dans le choix de traitements qui lui seront proposés.

Sur Internet, des procédures pour des transplantations à faire soi-même prolifèrent. Ces méthodes « DIY » (pour Do It Yourself) sont détaillées, et affichées comme des alternatives à la médecine traditionnelle. Mais sans assurances sur la sûreté et l’efficacité, cela risque de rendre les choses encore plus obscures. En attendant, peut-être que nous devrions tous mettre au freezer quelques-unes de nos selles pendant que nous sommes en forme, et les garder pour des jours plus difficiles.

The Conversation

Tim Spector, Professor of Genetic Epidemiology, King’s College London

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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