Mike Wood, University of Salford et Nick Beresford, Centre for Ecology & Hydrology
L’accident survenu à la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1986 a eu des effets dévastateurs sur la population locale, contraignant 116 000 personnes à quitter définitivement leurs habitations. Au cours d’une étude dont les résultats ont été récemment publiés, des chercheurs ont pu découvrir qu’en l’absence des hommes, la zone contaminée de l’actuelle Biélorussie fourmillait d’animaux sauvages. On y trouve notamment des élans, des sangliers, des cerfs et des loups. Le nombre de ces animaux semble à la hausse et, pour certaines espèces, il est même supérieur à celui des zones non contaminées.
La zone évacuée autour de la centrale nucléaire, connue sous le nom de « zone d’exclusion » de Tchernobyl, s’étend sur environ 4750 km² de part et d’autre de la frontière entre l’Ukraine et la Biélorussie. La contamination y est inégale, dans la mesure où la répartition des isotopes radioactifs s’est faite au gré des conditions météorologiques au moment de l’accident et des jours qui ont suivi. Si les taux de radiation ont baissé au cours des trente dernières années, ils sont encore trop élevés dans de nombreuses régions de la zone pour que la population puisse revenir.
Cette situation a offert une occasion unique pour étudier l’impact de la catastrophe sur la faune locale, sans que la communauté scientifique n’ait pu toutefois exploiter pleinement cette possibilité. La nouvelle étude qui vient de paraître est donc importante en ce qu’elle constitue, à notre connaissance, le premier article publié dans une revue scientifique internationale portant sur les changements à long terme qui touchent la population des mammifères présents dans la zone d’exclusion.
Faire la lumière sur un débat confus
En l’absence d’études rigoureuses, des avis divergents sur la présence de la faune dans cette région se sont fait entendre, que ce soit dans littérature scientifique ou dans les médias grand public. C’est ainsi qu’on a pu lire coup sur coup des articles affirmant que « La faune défie les radiations de Tchernobyl » puis que « Tchernobyl n’est pas un paradis pour les animaux ».
Des travaux sur les radiations ayant touché les espèces sauvages, insectes et araignées notamment, ont relevé des impacts négatifs significatifs à des niveaux de radiation relativement faibles, comparables aux débits de dose observés en milieu naturel dans de nombreux pays. Si ces résultats sont corrects, ils auront des implications importantes en ce qui concerne la question de la protection de l’homme et de l’environnement après un accident nucléaire.
Très peu d’études ont cependant porté sur les espèces de mammifères moyens et grands. Ainsi, même si certaines évaluations ont suggéré par le passé que la région était devenue un sanctuaire pour la faune, de telles observations ont, à juste titre, été critiquées comme relevant très souvent de l’anecdote.
L’étude qui vient de paraître a eu recours à deux méthodes pour estimer le nombre d’animaux : d’une part, des enquêtes conduites en hélicoptère chaque hiver, entre 1987 et 1996, pour compter directement les animaux ; d’autre part, des enquêtes sur le terrain pour relever, chaque hiver entre 2008 et 2010, des traces de mammifères dans la neige. Ces résultats ont ensuite été comparés à des données provenant d’études similaires dans plusieurs réserves naturelles biélorusses non contaminées.
L’équipe scientifique a constaté que le nombre d’élans, de chevreuils, de cerfs et de sangliers dans la partie biélorusse de la zone d’exclusion était identique à celui de quatre autres réserves naturelles intactes. Le nombre d’élans et de chevreuils a ainsi augmenté de façon constante depuis 1987, cette dernière espèce voyant sa population multipliée par dix entre 1987 et 1996. Quant à la population de sangliers, elle a chuté entre 1993 et 1994 en raison d’une épidémie. Les chercheurs observent, d’autre part, qu’il y a sept fois plus de loups dans la zone d’exclusion, un chiffre qui s’explique en partie du fait que plus personne ne les chasse.
Le nombre d’animaux au regard des différents niveaux de radiation des sols a également été étudié sans qu’aucune corrélation entre la densité de la contamination du sol (relativement bien cartographiée dans la zone d’exclusion) et celle de la population animale n’ait pu être établie.
Ces résultats vont à l’encontre d’une étude précédente, qui s’appuyant aussi sur les traces laissées dans la neige, estimait que le nombre d’animaux de la région était en baisse. Cette précédente étude n’avait cependant pas réussi à estimer correctement les doses de radiation reçues par les animaux. Car la dose réelle dépend non seulement de la quantité de rayonnement externe reçue, mais aussi de la quantité de matière radioactive que les animaux ingèrent en mangeant et en buvant. Cette recherche a tenté de mener des évaluations plus précises de l’exposition des animaux aux rayonnements.
Tchernobyl est-il sûr ?
Si ces travaux récents ont apporté de précieuses données sur la présence de la faune dans la zone d’exclusion de Tchernobyl, d’autres recherches seront nécessaires pour vérifier et comprendre ces résultats.
Quand on connaît la dangerosité des rayonnements ionisants pour les organismes vivants, les conclusions de l’étude vont à l’encontre de ce à quoi on pourrait s’attendre. Certains résultats pourraient même être perçus comme le signe que des taux élevés de radiation peuvent avoir un effet bénéfique sur la faune. Il faut cependant garder en tête que les humains ayant quitté la zone, il n’y a ni agriculture, ni sylviculture, ni chasse pour menacer les espèces présentes. Les rayonnements ne seraient donc bénéfiques qu’indirectement pour les animaux, en les soustrayant à la présence humaine.
Il existe probablement des effets négatifs des rayonnements dans la zone d’exclusion. Mais actuellement, il n’est pas possible de voir plus loin que les conséquences sur la faune du départ des hommes de la région. D’autres recherches doivent être menées pour évaluer l’impact de la contamination sur la santé et l’espérance de vie des animaux.
Des progrès techniques dans le domaine des enregistrements photographiques et acoustiques permettent aujourd’hui d’estimer le nombre d’animaux par une observation directe, et non plus seulement en relevant leurs traces. Nous avons ainsi entrepris un projet de recension et d’étude de la faune à l’aide de caméras déclenchées par le mouvement et d’enregistreurs sonores dans les différentes parties de la zone d’exclusion. Espérons que cela permette d’établir des relations plus claires entre les niveaux de contamination et la présence en grand nombre des animaux.
Bien que notre étude soit toujours en cours, nous avons déjà constaté une variabilité des populations animales observées au cours de l’année. On peut par conséquent s’attendre à des conclusions légèrement différentes entre notre étude qui s’appuie sur cinq années complètes de recherches et d’autres menées seulement en hiver.
L’étude récemment publiée est aujourd’hui la meilleure évaluation que nous possédions. Elle pourra ainsi certainement nous aider à comprendre l’impact environnemental potentiel à long terme d’une autre catastrophe nucléaire, celle de Fukushima au Japon en 2011. Mais peut-être que la plus importante leçon que nous pouvons tirer de l’accident de Tchernobyl est de veiller à ce qu’à Fukushima des programmes de recherche rigoureux et coordonnés soient menés pour aider à une meilleure compréhension des effets des radiations sur le milieu naturel.
Mike Wood, Senior Lecturer in Environmental Management, University of Salford et Nick Beresford, Radioecologist (NERC-CEH), Centre for Ecology & Hydrology
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.