Que se passe-t-il dans le cerveau quand on tombe amoureux ?
Yves Agid, Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (ICM)
Phénomène irraisonné par excellence, le sentiment amoureux semble à la fois universel et insaisissable. Saint-Valentin oblige, The Conversation France a demandé à Yves Agid, Professeur de neurologie, chercheur en neurosciences, directeur scientifique et fondateur de l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (ICM) de nous expliquer ce que l’on sait du cerveau amoureux. Et notamment de ces déflagrations internes qui nous échappent totalement quand nous sommes « touchés en plein cœur » (ou en plein cerveau, en l’occurrence), que la science s’emploie à identifier et à qualifier. NDLR : ce texte est basé sur la transcription d’une interview vidéo d’Yves Agid réalisée par l’ICM.
Un phénomène subit
Tomber amoureux, c’est d’abord éprouver de fortes émotions, d’un coup et de façon parfaitement incontrôlable. Forte accélération du cœur, pâleur, coup de chaud… sont autant de symptômes physiques qui manifestent cet afflux d’émotions que provoque la présence de l’autre, de l’objet amoureux. C’est un phénomène subit et transitoire. À ce moment-là, si l’on fait un arrêt sur images : que se passe-t-il dans le cerveau ?
Admettons que vous voyez quelqu’un pour qui vous avez une soudaine empathie, qui vous plaît beaucoup. Ces informations sont véhiculées dans votre cerveau par le biais des perceptions, qu’elles soient visuelles, sonores, tactiles, etc. Ces perceptions sont traitées dans des régions du cerveau qui gèrent plus spécifiquement les émotions. Dans le cerveau, il y a en effet des circuits spécifiques : les uns sont en charge de la motricité, les autres de l’intellect… et il y a aussi les circuits affectés aux émotions.
Ce qui est intéressant avec le sentiment amoureux c’est qu’il survient d’un coup. Vous ne vous dites pas « cet homme ou cette femme a un beau blazer, son visage me plaît… ». Vous ne décidez de rien, l’analyse rationnelle n’a rien à voir avec votre réaction. Cela relève d’un comportement automatique. Pour les neuroscientifiques, il convient de comprendre précisément quelles zones du cerveau sont activées, chez les humains, lorsqu’ils tombent amoureux.
Amoureux… comme des pigeons ?
Pour schématiser, le cerveau, cette masse de gélatine (qui pèse un peu moins de trois livres) est composée d’une énorme couche périphérique : c’est le cortex cérébral, qui gère nos comportements non automatiques. Mais il y a aussi, et surtout, des comportements automatiques comme marcher, faire du vélo, conduire une voiture, toutes ces choses que nous faisons sans y penser, qui elles, sont essentiellement gérées par de toutes petites structures à la base du cerveau, les noyaux gris centraux (qui représentent seulement 1/50ᵉ de la masse cérébrale).
Ce qui est étonnant, c’est que le sentiment amoureux semble justement géré par de si petites, et si anciennes, structures cérébrales. De façon intuitive on pourrait se dire : le sentiment amoureux est si complexe, si subtil, qu’il sollicite essentiellement le cortex cérébral – un territoire plus récent qui contrôle les activités mentales les plus subtiles de l’homme, soit les comportements non automatiques, comme la conscience. En réalité, pas du tout. Tomber amoureux relève plutôt de la subconscience, c’est-à-dire de la faculté cérébrale qui nous permet d’agir, de penser et de ressentir des émotions de façon non consciente, donc automatique.
On a déjà tous observé des pigeons amoureux qui se bécotent. Comme nous ! Or, les pigeons n’ont pratiquement pas de cortex, mais des noyaux gris centraux très développés. Tout se passe donc chez ces animaux comme chez les êtres humains : on « tombe » amoureux de manière brutale et inattendue, automatiquement, de manière subconsciente… probablement avec la contribution des structures cérébrales les plus primitives du cerveau.
D’une certaine façon, nous nous comportons donc comme des animaux… Chez les humains, il convient cependant de nuancer : on peut opposer l’amour-passion, qui se déclare sans crier gare, et l’amour qui s’installe avec le temps, quand les partenaires ont appris à se connaître. Mais quoi qu’il en soit, vous ne décidez pas de tomber amoureux.
Dans tous les cas, il faut rester prudents et ne pas en tirer de conclusions hâtives : on a d’un côté l’amour, qui se traduit par les comportements les plus complexes qui soient, d’un point de vue émotionnel, et de l’autre ce qui relève du fonctionnement du cerveau, qui est extrêmement compliqué aussi. Établir des relations entre les deux n’est pas chose aisée, et il y a encore énormément à découvrir.
La preuve par l’IRM
La science fournit plusieurs preuves expérimentales du rôle des noyaux gris centraux dans le sentiment amoureux : Andreas Bartels et Semir Zeki, à Londres, ont ainsi reçu un certain nombre de couples profondément amoureux. Ils ont demandé à l’un des deux partenaires de rentrer dans un IRM. Supposons que ce soit un homme : on observe alors ce qui se passe dans son cerveau quand on lui montre une série de photos de femmes : pour la plupart, ce sont des inconnues, et de temps en temps, il y a un cliché de sa bien-aimée. Ce qui s’allume dans son cerveau, à la vue de celle qu’il aime, ce sont les noyaux gris centraux !
Ces noyaux gris centraux, liés aux régions correspondantes dans le cortex cérébral, constituent une sorte de « noeud » routier qui jouent un rôle préférentiel dans les actions automatiques, tandis que le cortex joue un rôle essentiel dans la conscience des actions non automatiques.
Ainsi, avant l’intellectualisation, et parfois les regrets associés au sentiment amoureux ou à la passion, il y a l’arrivée brutale et incontrôlable de l’amour, sous forme d’émotions fortes. Dans le premier cas, c’est le cortex cérébral qui contribue essentiellement, dans le deuxième, ce sont les noyaux gris centraux. Dans tous les cas, c’est le cerveau qui déclenche l’amour…
Yves Agid, Professeur de neurologie, chercheur en neurosciences, membre de l’Académie des Sciences, directeur scientifique et fondateur de l’ICM, Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (ICM)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.