Les pyramides sous le scan : premiers résultats pour Khéops
Simon Thuault, Université Paul Valéry – Montpellier III
Nous vous proposons cet article en partenariat avec l’émission de vulgarisation scientifique quotidienne « La Tête au carré », présentée et produite par Mathieu Vidard sur France Inter. L’auteur de ce texte, Simon Thuault, évoquera ses recherches dans l’émission du 10 février 2017 en compagnie d’Aline Richard, éditrice science et technologie pour The Conversation France.
Dévoiler, grâce aux nouvelles technologies, les mystères de ces géantes de pierre que sont les pyramides de l’Egypte antique réserve parfois des surprises. Ainsi de l’initiative ScanPyramids lancée en octobre 2015 dont la durée vient d’être prolongée, en partie du fait de résultats prometteurs avancés par les scientifiques.
Le projet ScanPyramids implique les autorités égyptiennes et divers instituts scientifiques comme l’université Laval (Québec) ou le HIP (Heritage Innovation Preservation). Il s’est fixé pour objectif d’apporter de nouveaux éclairages sur la structure de diverses pyramides égyptiennes et, possiblement, sur leur conception. Ainsi, après avoir analysé les pyramides du roi Snéfrou, à Dahchour (à environ env. 40km au sud du Caire), l’équipe de ScanPyramids s’est attelée à l’examen de la pyramide de son fils et successeur, deuxième pharaon de la IVᵉ dynastie et l’un des plus emblématique de la civilisation de l’Egypte ancienne, Khéops. Ce roi régna aux alentours de 2550 av. J.-C., durant la période appelée « Ancien Empire » (environ 2700/2200 avant notre ère), parfois dite également « âge des pyramides ».
La pyramide de Khéops, parfois appelée « Grande Pyramide », ou « dernière merveille du monde antique », se dresse sur le plateau de Giza, à quelques kilomètres au sud du Caire. Pointant autrefois à 146 mètres de haut (pour des côtés d’une longueur d’environ 230 m), elle est composée de plusieurs millions de blocs de pierre d’un volume total de plus de 2.500.000 m³.
Quel que fut le mode de construction de ces monuments colossaux, leur objectif essentiel était de permettre au défunt qui y reposait – le roi et/ou la reine – d’accéder à l’au-delà et d’y prendre place parmi les dieux et déesses, lui-même obtenant une nature divine. La première pyramide connue, celle de Djoser (IIIᵉ dynastie, env. 2650 av. J.-C.), est souvent appelée « pyramide à degrés » du fait des six étages empilés qui lui confèrent son aspect si particulier. Les pyramides « lisses » apparaissent sous le règne de Snéfrou (IVᵉ dynastie, env. 2600 av. J.-C.) et sont utilisées comme sépultures royales – ou comme cénotaphes – pendant plus de mille ans (au moins jusqu’en 1550 av. J.-C. avec Ahmôsis Iᵉʳ), auxquelles nous pouvons ajouter les pyramides nubiennes datant du Iᵉʳ millénaire av. J.-C.
Certaines pyramides sont inscrites, ce qui n’est pas le cas de celle de Khéops. Les hiéroglyphes qui en couvrent les parois composent ce que l’on appelle les « Textes des Pyramides », considérés comme le plus ancien corpus de textes religieux de l’histoire (la première attestation date de la Vᵉ dynastie, dans la pyramide d’Ounas, env. 2350 av. J.-C.). Ces inscriptions participent à la régénération du pharaon qui, une fois les rites effectués, voit son existence prolongée pour l’éternité, comme en témoigne l’introduction de la formule 213 : « Ô Ounas ! Tu n’es pas parti mort, tu es parti vivant ! ».
Pour en revenir au projet ScanPyramids Khéops, plusieurs technologies ont été mises en place, outre celles nécessaires à la modélisation en 3D du plateau des pyramides. La première est la thermographie infrarouge, utilisée notamment pour détecter les différences de température entre différentes parties du monument. La seconde est l’étude des « muons », éléments cosmiques se déposant sur terre (environ 10.000 muons par m² et par minute) et capables de traverser tout type de matériau en laissant des traces que les machines peuvent évaluer. Ainsi, les appareils détectent les zones vides, que les muons ont traversées, et celles, pondéreuses, où ils se sont déposés.
Deux découvertes
Ces analyses réclament un temps de récupération de données qui peut être long. Mais d’ores et déjà, deux découvertes ont été communiquées par l’équipe de ScanPyramids en accord avec le Ministère égyptien des Antiquités.
Sur la face nord, d’abord, où se situent les deux entrées de la pyramide (celle d’origine des Anciens Égyptiens et celle, plus tardive, creusée par de possibles pillards), les examens infrarouge ont mis en avant d’importantes divergences thermiques entre les deux accès. À cela s’ajoutent des anomalies dans la répartition des muons telle qu’elle devrait être en cas de structure « normale ». Les chercheurs envisagent donc la possibilité qu’un couloir encore inconnu se cache derrière l’entrée principale, de même qu’une éventuelle cavité qui expliquerait la présence de « chevrons » à cet endroit, alors que les seuls autres blocs de ce type se trouvent au-dessus des chambres du roi et de la reine. De plus, leurs dimensions semblent trop importantes pour ne couvrir qu’un simple corridor, et il ne faut pas oublier qu’avant que le parement de la pyramide ne soit en grande partie ôté, ces chevrons étaient recouverts, et non visibles comme aujourd’hui.
Le second résultat, encore à approfondir, est la possibilité, mise au jour grâce aux muons, qu’il existe une niche encore non découverte à une centaine de mètres de hauteur, sur l’arête nord-est de la pyramide.
Ces conclusions sont encourageantes et mettent en lumière la nécessité de faire se rencontrer archéologues et spécialistes des nouvelles technologies. Toutefois, les égyptologues doivent encore travailler afin de proposer quelques éléments de confirmation – ou d’infirmation – de ces éléments, à partir de ce qu’ils savent déjà sur les pyramides. De plus, la communauté égyptologique veut éviter de reproduire le fiasco des scans effectués dans la tombe de Toutânkhamon. Des « découvertes du siècle » avaient été annoncées un peu vite, mais les résultats n’étaient pas aussi explicites qu’affirmé. Cet échec, médiatisé, avait été un coup dur pour l’archéologie. Les analyses de ScanPyramids sont cependant plus poussées et reposent sur des fondations plus solides, les découvertes étant de ce fait plus cohérentes.
Les pyramides égyptiennes, et celles de Giza en particulier, ont toujours fasciné chercheurs et voyageurs, à la fois par leur aspect grandiose et par l’inconnue qui entoure leur construction. La recherche scientifique a progressé mais elle a encore beaucoup de choses à nous apprendre.
Simon Thuault, Doctorant contractuel (égyptologie), Université Paul Valéry – Montpellier III
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.