L’agromine ou comment produire du métal à partir des plantes
Guillaume Echevarria, Université de Lorraine; Antony van der Ent, Université de Lorraine; Jean-Louis Morel, Université de Lorraine et Marie-Odile Simonnot, Université de Lorraine
Le développement de l’économie mondiale entraîne une demande toujours croissante en métaux dits « stratégiques ». On désigne ainsi des métaux dont les quantités nécessaires à l’approvisionnement de l’industrie sont colossales – c’est notamment le cas du nickel – ou bien encore des métaux possédant des propriétés essentielles aux nouvelles technologies, mais dont la ressource est soit très limitée ou très localisée (on pense ici aux « terres rares »).
Aujourd’hui, les gisements les plus riches et les plus concentrés ont été épuisés pour nombre de métaux et sont remplacés par des gisements plus vastes aux teneurs plus faibles, à l’image du cuivre. Par exemple, certains des minerais excavés et traités pour l’extraction du nickel ne contiennent même pas 1 % de métal !
À l’avenir, l’industrie minérale ne pourra donc pas se passer de ressources dites « secondaires », obtenues grâce au recyclage des gisements de déchets urbains, à l’utilisation et à la réutilisation des minerais à basse teneur ou des stériles miniers.
Des exploitations géantes et perturbantes
Ces dernières années, l’exploitation de réserves moins concentrées a ainsi nécessité l’ouverture de gigantesques mines à ciel ouvert. En Nouvelle-Calédonie, pour extraire le nickel, ce sont des milliers d’hectares de sols latéritiques qui sont systématiquement décapés. Ces terres, qui mettent des millions d’années à se former, correspondent au terme ultime de l’évolution des sols en milieu tropical humide.
Or ces régions représentent des réservoirs uniques de biodiversité, et l’exploitation du nickel latéritique affecte ces écosystèmes sur une grande échelle. Ces derniers disparaissent et sont remplacés par des terrils sur lesquels ruissellent les eaux de pluie. La végétation peine à se réinstaller sur ces milieux.
La fin de l’exploitation de telles mines doit aujourd’hui s’accompagner d’une stratégie de restauration des écosystèmes. Il s’agit de réinstaller la biodiversité initiale sur ces espaces dégradés, remodelés et composés de roches et de matériaux stériles.
Les plantes hyperaccumulatrices de métaux peuvent servir de tels objectifs.
Ces plantes pourraient également permettre la récupération de métaux contenus dans les stériles miniers ou dans les zones minéralisées à très faible teneur en métaux stratégiques, non exploitables par les procédés miniers classiques.
Comment les plantes accumulent les métaux
L’hyperaccumulation est le fruit d’une adaptation génétique de la plante à des environnements fortement minéralisés ; cela se traduit par une forte concentration des métaux dans les parties aériennes (feuilles, tiges, fleurs, fruits) après les avoir activement puisés dans le sol par les racines.
Pour ces plantes hyperaccumulatrices, les métaux font partie des éléments minéraux majeurs au même titre que les éléments essentiels comme l’azote, le phosphore et le potassium.
Cette accumulation dans les parties aériennes atteint en général 100 fois celles des végétaux non accumulateurs poussant sur les mêmes sols. Ce phénomène extraordinaire a déjà été rapporté pour plus de 20 éléments différents (aluminium, cadmium, cobalt, manganèse, nickel, zinc, terres rares…) et pour une diversité de familles botaniques et de genres regroupant pratiquement 1 000 espèces connues à ce jour.
Cultiver l’hyperaccumulation
L’agromine désigne la culture de ces plantes hyperaccumulatrices sur des sols naturellement minéralisés ou sur des terrains abandonnés par l’exploitation minière.
Le but consiste à produire de la matière végétale (la biomasse) utilisable comme source d’énergie et de métaux stratégiques pour l’industrie. Les métaux contenus dans les plantes sont séparés et purifiés pour produire ultérieurement des sels à haute valeur ajoutée.
Cette technique, née à la fin des années 1980 a été mise au point au début des années 1990 par le département d’agriculture des États-Unis, l’université de Lorraine et l’université agricole de Tirana. Après plus de vingt années de recherches, la technologie est enfin prête pour certaines ressources, comme le nickel.
Un réseau européen – qui met en œuvre cette technologie en Albanie, en Autriche, en Espagne, en France et en Grèce – a vu le jour. Il s’appuie sur plusieurs projets de recherche pluripartenaires financés par l’Union européenne et l’Agence nationale pour la recherche (France).
Développer des procédés innovants
La seconde étape stratégique pour le développement de l’agromine a pour objectif la mise au point de procédés innovants pour valoriser la biomasse des plantes produites. La valorisation énergétique de cette biomasse permet, d’une part, la récupération d’énergie par combustion. D’autre part, les cendres produites après combustion constituent le minerai de nickel le plus riche existant actuellement sur le marché (10 à 20 % de Ni).
Nous avons développé en Lorraine et en Australie des procédés métallurgiques adaptés qui permettent d’ores et déjà de produire des sels purs de Ni (Sulfate double d’ammonium et de nickel, pureté > 99,5 %).
En Europe, il existe des milliers de km2 de sols ultramafiques, milieux naturellement bien pourvus en nickel, qui peuvent faire l’objet de l’agromine. Ils sont également le siège d’une biodiversité qui constitue un patrimoine naturel unique, comme c’est le cas dans les Balkans.
L’activité agricole dans ces régions est difficile en raison des contraintes particulières qu’imposent ces sols (faible fertilité, toxicité liée au nickel) et les revenus des agriculteurs sont très faibles. L’agromine représente ici une alternative pour ces terres et les agriculteurs ont la possibilité de modifier leur système de culture en y introduisant une culture de vente très rentable.
L’agromine s’inscrit donc dans une démarche à long terme de réhabilitation de ces terres dévastées, tout en ouvrant de nouvelles perspectives dans la production et le recyclage de métaux stratégiques.
Guillaume Echevarria, Professeur en biogéochimie des sols, expert en agromine, Laboratoire Sols et Environnement INRA-, Université de Lorraine; Antony van der Ent, Chercheur à l’University of Queensland, Sustainable Minerals Institute – Chercheur invité au Laboratoire sols et environnement, INRA, Université de Lorraine; Jean-Louis Morel, Professeur de Biologie pour l’Environnement, Laboratoire sols et environnement, Université de Lorraine, INRA, Université de Lorraine et Marie-Odile Simonnot, Professeure en Génie des Procédés, EEIGM, Laboratoire Réactions et Génie des Procédés, CNRS-Université de Lorraine, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.