Les arbres se parlent-ils ?
Stuart Thompson, University of Westminster
Un livre récemment paru au Royaume-Uni, The Hidden Life of Trees, affirme que les arbres se parlent. Mais est-ce vraiment le cas ? On pourrait commencer par répondre en disant que les plantes échangent en effet des informations entre elles et avec d’autres organismes, comme les insectes.
Prenons, par exemple, les odeurs qui montent de l’herbe fraîchement coupée ou de la sauge broyée. Certains des éléments chimiques qui composent ces odeurs avertiront les autres plantes d’une attaque ou appelleront les insectes à les défendre. Ces effluves peuvent ainsi être considérées comme autant de cris d’alerte ou d’appels à l’aide.
Lorsque les plantes sont affaiblies par une infection ou dévorées, elles libèrent toute une série de molécules dans l’air et autour d’elles. Après avoir reçu ces éléments chimiques, les plantes à proximité de la même espèce, ou même d’une espèce différente, deviennent moins vulnérables, en produisant par exemple des toxines ou d’autres substances qui les rendent difficiles à digérer. Ces changements ne se produisent en général pas de manière instantanée, mais les gènes concernés réagissent bien plus vite quand ils sont sollicités.
Il y existe aussi des preuves selon lesquelles les éléments chimiques libérés par les plantes en un lieu précis diffèrent légèrement de ceux relâchés ailleurs par la même espèce. Il semble dès lors que si les plantes parlent, elles ont même des langues et même des accents régionaux !
Plantes parlantes ?
Mais s’agit-il pour autant d’une authentique communication ? Il est vraiment difficile de déterminer si une plante qui libère des éléments chimiques le fait de manière intentionnelle pour transmettre des informations à une autre plante. Je réagis moi-même aux éléments chimiques dégagés par des oignons en train de frire… ce qui ne signifie pas pour autant que les oignons sont en train de me parler. A-t-on affaire à de véritables messages ou est-ce plutôt une manière opportuniste d’utiliser les informations chimiques disponibles dans l’environnement ?
Il semble que ces signaux étaient, au départ, non un moyen d’envoyer de l’information aux autres arbres mais d’adresser, rapidement et efficacement, des messages à d’autres parties de la même plante. Des ravageurs ou des infections se déplacent le plus souvent d’une branche à l’autre. Mais un avertissement qui dirait à ces branches de se préparer à une attaque imminente devrait parcourir tout l’arbre d’un bout à l’autre. Une distance qui peut s’étendre sur des dizaines de mètres lorsque l’arbre est grand.
À l’opposé, un signal voyageant dans l’air peut atteindre directement les branches les plus exposées à l’attaque. En conséquence de quoi, ces signaux volatiles peuvent être comme « attrapés au vol » par des plantes se trouvant à proximité. Donc, quand des arbres répondent en intensifiant leur système de défense, s’agit-il de communication ou du simple fait d’écouter aux portes ?
Il s’agit certainement d’un peu des deux. Peut-être que ce système de messagerie interne est devenu capable d’aider d’autres plantes, assez proches pour percevoir ces signaux, étant souvent liées à l’arbre émetteur dans ce qui ressemble à un cas classique d’évolution de sélection parentale. Toutefois, libérer de tels composés chimiques dans l’environnement est fait sans discernement et les autres plantes et organismes peuvent en tirer profit. Parfois, de tels signaux peuvent même attirer les ravageurs ou les parasites. L’odeur de sauge broyée ne protège pas la plante des hommes… bien au contraire.
Rendez-vous sous terre
Les échanges d’informations entre les plantes ne se font pas tous par voie aérienne. La grande majorité des plantes vivent en effet de manière symbiotique avec les champignons du sol. Et si nous avons tendance à penser que les champignons que l’on observe en forêt sont ceux qui sont présents en surface, ceux-ci n’émergent qu’après la reproduction. Les vrais champignons composent, eux, un ensemble de cellules allongées qui se répandent à travers tout le tapis forestier.
Les arbres fournissent aux champignons du sucre et ces derniers aident les arbres à recueillir l’eau et les éléments nutritifs du sol. De nombreuses plantes peuvent être ainsi liées sous terre via le réseau de champignons. Parfois, lorsqu’une plante a subi un dommage, les autres qui lui sont connectées par ce réseau de champignons se protègent de futures attaques alors même que d’autres, à même distance mais non connectées, ne le font pas. Ce réseau est un autre support pour acheminer l’information. Un authentique Wood Wide Web !
Mais qui contrôle cette communication ? Les messages sont relayés par les champignons et peut-être que ce sont ces derniers qui en tirent le plus grand bénéfice, en collectant et en passant des informations vitales à leur hôte ; ils peuvent ainsi veiller sur leur capital… Les champignons aident les plantes à communiquer, soit, mais peut-être le font-ils dans leur propre intérêt, en privilégiant certains plutôt que d’autres, qu’ils soient ou non reliés à l’arbre qui émet le message. En ce sens, les champignons sont un peu comme un média social, qui écoute et se sert des messages de ses utilisateurs.
Et nous revoici revenus à la question de savoir si ces exemples concernent bien la « communication » au sens où nous l’entendons. Tout ce qui peut amener les gens à s’intéresser à la flore est bienvenu, mais attribuer aux arbres des qualités humaines, c’est certainement un peu rapide. Pour ma part, ce qui m’a attiré vers la botanique concernait la manière dont les arbres et les autres plantes s’adaptent de manière fluide à leur environnement. Peut-être que la diffusion de ces éléments chimiques n’est qu’un aspect supplémentaire de cette merveilleuse faculté d’adaptation…
Stuart Thompson, Senior Lecturer in Plant Biochemistry, University of Westminster
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.