Quelles sont les causes de l’épidémie mondiale d’obésité ?
Lisa Oberlander, Paris School of Economics – École d’économie de Paris; DISDIER Anne-Célia, École Normale Supérieure (ENS) – PSL et Fabrice Etile
Suite à la recrudescence des cas d’obésité dans le monde entier, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a décidé d’exhorter les gouvernements à mettre en place une taxe sur les boissons sucrées, tenues pour responsables de l’épidémie.
Étant donné que l’on observe les mêmes risques et les mêmes tendances à l’obésité dans des pays aussi divers que le Mexique et la République des Palaos (Océanie), dont les habitudes alimentaires ne sont pourtant pas du tout les mêmes, l’objectif de nos travaux est de comprendre les raisons de ce phénomène. Nous avons donc mis à jour les connexions qui se sont établies entre les différentes facettes de la mondialisation (échanges culturels ou commerciaux, diffusion de la technologie, etc.) et les bouleversements planétaires qui s’opèrent au niveau des modèles sanitaires et alimentaires.
Selon une étude récente menée dans différents pays, la proportion d’adultes en surpoids ou obèses est passée de 29 % en 1980 à 37 % en 2013. Si les personnes en surpoids sont plus nombreuses dans les pays développés que dans les pays en développement, l’écart est en train de se réduire. Notons au passage qu’au Koweït, dans les Kiribati, en Micronésie, en Libye, au Qatar, aux Tonga et dans les Samoa, le taux d’obésité chez les femmes dépassait 50 % en 2013.
Pour l’OMS, l’augmentation du nombre de personnes en surpoids à travers le monde est principalement due à de mauvaises habitudes alimentaires et à une diminution de plus en plus prononcée de l’activité physique. Les régimes riches en sucres, en produits d’origine animale et en graisses constituent des facteurs de risque importants pour les maladies non transmissibles, comme les troubles cardiovasculaires, le diabète ou différents types de cancer.
En 2012, les maladies cardiovasculaires, première cause de mortalité dans le monde, ont fait 17,5 millions de victimes. Plus des trois quarts de ces décès ont été signalés dans les pays dont le revenu par habitant est faible ou moyen, ce qui affaiblit considérablement le système de protection sociale de ces États. Par conséquent, l’OMS considère que les maladies chroniques liées à l’alimentation représentent un danger croissant pour l’humanité, au même titre que d’autres problèmes de santé publique plus anciens, comme la malnutrition et les maladies contagieuses.
Les populations occidentales ont été les premières à prendre du poids de manière significative, mais le phénomène touche désormais l’ensemble de la planète. Dans un article largement cité de 1993, le professeur Barry Popkin, de l’Université de Caroline du Nord, attribuait cette évolution à la « transition nutritionnelle » qui a vu les régimes à base de fruits, légumes et féculents céder la place aux régimes plus riches en graisses (surtout celles des produits d’origine animale), sucres et produits transformés.
D’après M. Popkin, les différentes étapes de la transition nutritionnelle dépendent de facteurs socio-économiques, tels que le degré d’industrialisation, le pourcentage de femmes dans la population active et l’accès aux technologies de transformation des aliments.
Le facteur viande
L’augmentation du nombre de personnes en surpoids, et l’évolution des habitudes alimentaires, coïncident globalement avec le processus de mondialisation. Il est indéniable que celle-ci a profondément modifié la vie des gens, mais est-elle pour autant responsable de la transition nutritionnelle ?
Pour répondre à cette question, nous avons analysé l’impact de la mondialisation sur l’évolution des habitudes alimentaires, et la prépondérance des personnes en surpoids, à partir des données de 70 pays riches ou à revenu intermédiaire, entre 1970 et 2011.
Nous nous sommes aperçus que la mondialisation s’était accompagnée d’une hausse de la consommation de viande, et que celle-ci était avant tout liée aux dimensions sociales d’une telle interdépendance (échange d’idées, d’information, d’images et de rencontres), plutôt qu’aux échanges commerciaux ou à d’autres aspects économiques.
Ainsi, si la Turquie était aussi socialement mondialisée que la France, la consommation de viande augmenterait d’environ 20 % dans ce pays. Pour éviter de faire un lien entre la hausse moyenne des revenus et l’accès généralisé aux télécommunications et aux produits carnés, notre analyse tient compte de l’incidence de cette hausse.
Cependant, bien que nos travaux démontrent que la mondialisation influe sur les habitudes alimentaires, nous n’avons pu établir de relation entre la mondialisation et la prise de poids des populations. Ceci pourrait être dû au fait que nous avons adopté une vue d’ensemble, sans tenir compte des spécificités de chaque pays.
La mondialisation ne semble donc pas expliquer à elle seule l’épidémie d’obésité observée à travers le monde, mais elle joue peut-être un rôle dans certains pays.
L’impact des aliments préparés
Pour expliquer une telle ambiguïté, nous pourrions aussi imaginer que d’autres facteurs sont responsables de ce phénomène, et notamment la consommation accrue d’aliments préparés, souvent pointée du doigt.
Ainsi, selon une étude menée aux États-Unis, les Américains tirent les trois quarts de leur énergie des aliments préparés, qui contiennent davantage d’acides gras saturés, de sucres et de sel que les produits frais.
L’accès toujours plus répandu aux aliments préparés est lié au développement rapide du commerce de détail. En effet, la technologie de la logistique moderne aide les détaillants à centraliser les achats et l’inventaire, ce qui fait baisser les coûts et permet de proposer des prix très compétitifs aux consommateurs.
Après avoir saturé les marchés occidentaux, les supermarchés ont commencé à infiltrer les pays en développement, dont la croissance potentielle était plus élevée. Dans les années 1990, le boom des magasins d’alimentation a touché l’Amérique latine, l’Europe centrale et l’Afrique du Sud. Les détaillants se sont ensuite implantés en Asie et, aujourd’hui, dans les pays africains.
Un aspect intéressant, et pourtant peu abordé, du débat sur les aliments préparés concerne le rôle des multinationales, qui proposent des régimes « à l’occidentale », à base de fast food et de boissons gazeuses. Ces multinationales sont l’un des deux leaders du marché dans de nombreux pays émergents, dont le Brésil, l’Inde, le Mexique et la Russie, et dépensent des sommes considérables pour promouvoir leurs produits alimentaires.
Mais il est difficile de dire si les gens prennent du poids parce qu’ils adoptent un régime à l’occidentale, ou s’ils continuent à privilégier leur cuisine régionale, mais avec davantage de produits carnés, de graisses et de sucres.
Le rôle du monde du travail dans l’évolution des habitudes alimentaires
Indépendamment de ces facteurs liés à l’offre, certaines analyses des données américaines associent aussi la généralisation du surpoids à l’évolution du marché du travail, notamment le pourcentage croissant de femmes dans la population active.
D’un côté, les femmes qui travaillent ont moins de temps pour préparer les repas ou inciter leurs enfants à se dépenser dehors. De l’autre, l’augmentation du nombre d’heures travaillées est susceptible d’améliorer les revenus du foyer et, par ricochet, la santé des enfants, grâce à un meilleur accès aux soins, des aliments de bonne qualité, des activités sportives, et une meilleure éducation.
Étant donné que la décision de travailler est personnelle et intimement liée au caractère et à l’environnement de chacun, il est difficile d’établir une relation de cause à effet entre le statut professionnel et l’obésité des enfants. Certaines études évoquent un effet positif, mais les preuves restent insuffisantes. Ces travaux se concentrent par ailleurs sur les seules femmes actives, et non les hommes, alors que rien ne montre que le sexe du parent joue un rôle quelconque dans ce domaine.
Le travail de nuit en alternance est aussi de plus en plus répandu. D’après une étude systématique menée par l’Organisation internationale du travail (OIT), un quart de tous les employés de l’Union européenne travaille la nuit. Cette activité nocturne constitue souvent une part intégrale du système de travail par équipe.
Ces horaires, qui compliquent probablement la prise des repas à heure fixe, pourraient encourager les travailleurs à manger régulièrement des casse-croûte pour rester concentrés. De plus, la technologie moderne a énormément réduit les besoins physiques dans de nombreux secteurs. Il est donc nécessaire d’ingérer moins de calories si l’on veut éviter de prendre du poids.
Si de nombreuses explications liées à la mondialisation semblent plausibles, les preuves concrètes établissant un lien de cause à effet entre mondialisation et obésité restent toutefois insuffisantes. Ceci est notamment dû au fait que la nourriture et les habitudes alimentaires dépendent de multiples facteurs, souvent liés entre eux, qui sont susceptibles d’être affectés par la mondialisation. Sans oublier que des facteurs socio-politiques et culturels spécifiques à chaque pays peuvent simultanément modifier leur ouverture économique et sociale et jouer sur l’alimentation.
Il reste donc à identifier plus précisément le poids relatif des divers mécanismes par lesquels la mondialisation contribue de manière causale à l’épidémie mondiale d’obésité.
Découvrez les travaux de Fabrice Etile et son équipe sur la nourriture dans le cadre de l’Axa Research Fund. Traduit de l’anglais par Bamiyan Shiff pour Fast for Word.
Lisa Oberlander, PhD student in nutrition and health economics, Paris School of Economics – École d’économie de Paris; DISDIER Anne-Célia, Directrice de recherche en économie, École Normale Supérieure (ENS) – PSL et Fabrice Etile, Economist – Paris School of Economics, Directeur de recherche INRA
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
» woua superbe application ca donne envie!!!! alors forcement je croise les doigts !!!