Grippe aviaire : quelles conséquences pour les humains?
Benjamin Roche, Institut de recherche pour le développement (IRD); Alexandre Caron, Cirad et Nicolas Gaidet-Drapier, Cirad
Depuis 2003, 844 personnes ont été infectées par un virus aviaire H5N1 hautement pathogène dans le monde. Parmi eux, 449 ont succombé à cette infection, ce qui donne un taux de mortalité de plus de 50 %, soit environ la même moyenne que le virus Ebola qui a causé la mort de plus de 11 000 personnes en quelques mois l’année dernière. C’est à cause de cette forte mortalité que les virus H5N1 hautement pathogènes sont considérés comme potentiellement dangereux et sont donc aussi surveillés.
Les populations ont également connu de nombreuses pandémies grippales ciblant les humains au cours du siècle dernier. Si la dernière (dite H1N1 ) a semblé peu agressive, au moins quatre autres pandémies ont eu lieu, tuant à chaque fois plusieurs millions de personnes, notamment la « grippe espagnole » qui a tué entre 20 et 40 millions d’individus. À chaque fois, les virus responsables de ces pandémies étaient à l’origine des virus de grippe aviaire qui avaient réussi à franchir la barrière d’espèce.
Néanmoins, il faut bien souligner que ces virus aviaires hautement pathogènes, notamment le H5N1, ont pour l’instant infecté principalement des personnes travaillant dans les élevages intensifs, en contact permanent avec les volailles infectées. Ce qui signifie que le H5N1 n’a pas franchi la barrière d’espèce, ce qui rend le virus non transmissible entre les humains.
De plus, de récentes études ont suggéré que les virus hautement pathogènes de la volaille domestique étaient probablement ceux qui étaient le moins adaptés pour sauter cette barrière d’espèce, pour des raisons de structure du virus qui seraient trop longues à détailler ici. Ceci est corroboré par le fait que toutes les pandémies grippales touchant les hommes observées au cours du siècle dernier étaient provoquées par des virus dont les parents les plus proches étaient des virus retrouvés chez les oiseaux sauvages.
Le risque d’épidémie humaine à partir du virus H5N1 est donc aujourd’hui très faible (ce qui ne veut pas dire nul), et les dernières études suggèrent que l’on aurait plus à craindre des virus faiblement pathogènes chez les oiseaux sauvages combinés à d’autres virus influenza présents chez une espèce de mammifère comme les porcs que les hautement pathogènes circulant chez les oiseaux domestiques.
Il n’en reste pas moins que ces virus peuvent avoir des conséquences graves pour les personnes travaillant dans ces élevages. Les mesures de prévention de la propagation (interdiction d’activités d’élevage, voire éradication des volailles), bien que nécessaire pour éviter tout risque, engendrent des conséquences économiques extrêmement importantes : pour les éleveurs et les acteurs de la filière aviaire, le virus est un immense fardeau.
Comment empêcher les virus d’émerger ?
H5N1 a commencé à se diffuser et à se transmettre au début des années 2000 en Asie, en particulier à Hong-Kong. Ce virus a émergé dans les élevages intensifs de volailles, pouvant compter plusieurs milliers d’individus génétiquement extrêmement proches. C’est dans ces « réacteurs à microbes » qu’un virus hautement pathogène peut commencer à se propager. Si la plupart des transmissions sont vraisemblablement dues à des échanges commerciaux de volaille, il faut tenter de limiter l’émergence initiale dans des élevages domestiques.
En effet, pour se transmettre, un virus a besoin de se répliquer, et donc de causer quelques dommages à son hôte. Le niveau de pathogénicité d’un virus est donc une histoire de compromis entre « se transmettre peu et tuer peu » ou « se transmettre beaucoup et tuer beaucoup ». Chez les oiseaux sauvages, les taux de contact entre individus sont relativement faibles, et, par ailleurs, les oiseaux peuvent rester immunisés plusieurs mois à la réinfection par un virus influenza. Dans ces conditions, un virus n’a pas intérêt à tuer trop rapidement l’individu qui l’héberge, sous peine de ne pas être transmis et donc de disparaître lui aussi.
Dans les élevages intensifs, la situation est très différente. Sélectionnés pour leur rythme de croissance très élevé, le renouvellement des individus est en effet extrêmement rapide, avec une durée de vie de 35 à 40 jours qui ne permet pas le développement d’une immunité naturelle à l’infection. Soulignons que les densités d’individus dans les élevages peuvent être très élevées (jusqu’à 22 poulets par mètre carré) et les individus sont génétiquement extrêmement proches. Dans ces conditions d’élevage, la meilleure stratégie pour le virus est donc de se transmettre beaucoup, quitte à tuer également beaucoup.
Un contrôle « raisonnable » de ces virus sur le long terme, c’est-à-dire en rendant moins plausible leur émergence, pourrait donc passer par un élevage moins intensif. Par exemple en introduisant dans ces élevages des individus d’une autre espèce pour limiter les contacts entre les volailles.
Un tel dispositif a déjà été appliqué avec succès sur d’autres virus, notamment la rouille du riz qui est la principale maladie affectant les plants de riz. Si le coût de telles méthodes est certainement élevé sur le court terme, des émergences répétées de virus hautement pathogènes causeraient un coût économique bien plus élevé sur le long terme, combiné qui plus est avec un risque sanitaire pour les populations humaines.
Une autre option pourrait être de limiter les contacts entre différents types d’élevage exposés à différents risques d’introduction. Si les élevages intensifs, comme l’élevage en batterie, offrent aux virus de la grippe des conditions parfaites pour évoluer vers plus de mortalité, il faut donc isoler au maximum ces unités de production pour éviter l’introduction d’un virus faiblement pathogène à risque de devenir hautement pathogène dans les conditions d’élevage décrites.
Dans les contrées de l’Asie du Sud-Est, ces types d’élevages intensifs « côtoient » dans l’espace et via des échanges de personnes, de matériaux ou de véhicules des élevages de canards de rizière où ces derniers côtoient chaque jour en plein air des canards sauvages : se combine alors une transmission facilitée des virus entre canards sauvages et domestiques. Ces virus investissent ensuite des élevages intensifs de volaille et deviennent pathogènes (et une fois pathogènes, ils peuvent repasser des volailles aux canards). L’émergence du virus en France dans une région où l’élevage de canards est très développé relève peut-être de ce genre de transmission.
Benjamin Roche, Chargé de recherche à l’IRD , Institut de recherche pour le développement (IRD); Alexandre Caron, Chercheur au CIRAD, Vétérinaire, épidémiologiste, Cirad et Nicolas Gaidet-Drapier, Ecologue , Cirad
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.