Alice M. Gregory, Goldsmiths, University of London
L’insomnie est traditionnellement considérée comme la conséquence d’autres troubles, tels que la dépression. Selon cette théorie, le sommeil serait dégradé à cause de la dépression. La personne affectée peut alors éprouver des difficultés à s’endormir, se réveiller pendant la nuit, ou encore se réveiller beaucoup plus tôt qu’elle ne le souhaite.
Ceux qui ont connu la dépression l’ont d’ailleurs constaté : penser à des événements pénibles (échecs, perte d’un être aimé) peut maintenir éveillé une bonne partie de la nuit. Au cours d’une de mes recherches, j’ai découvert avec mon équipe que les adultes insomniaques sont plus enclins que les autres à avoir connu des périodes de grande anxiété ou de dépression, plus tôt dans leur vie : un argument de plus pour penser que la dépression mène à l’insomnie.
Mais si cela fonctionnait dans l’autre sens ? Un sommeil de mauvaise qualité pourrait tout à fait nous mener à la dépression. Au cours des 10 dernières années, la recherche a réussi à démontrer que les troubles du sommeil précèdent souvent un épisode dépressif, et ne surviennent pas seulement après que la dépression se soit déclarée. Ainsi, peu à peu, les scientifiques abandonnent l’idée que les problèmes de sommeil sont systématiquement la conséquence d’autres troubles.
Les effets du manque de sommeil
Il est assez facile d’associer les deux phénomènes : songez seulement à votre état quand vous avez mal dormi. Peut-être vous sentez-vous mélancolique, ou légèrement agressif envers les autres ? La littérature scientifique semble confirmer le fait que notre capacité à réguler nos émotions est affectée par une mauvaise nuit de sommeil. L’insomnie est aussi un critère qui permet de « prédire » la dépression, si l’on s’en tient aux éléments qui permettent d’établir le diagnostic de la maladie.
Comment un sommeil de mauvaise qualité peut-il mener à la dépression ? De nombreuses hypothèses ont cours, mais commençons par observer notre comportement. Pour ma part, je suis plus encline à annuler une soirée entre amis ou une séance de sport si j’ai mal dormi la nuit précédente. Cela pourrait être un début d’explication, puisque ce genre d’événements sociaux ou propices au bien-être sont justement ceux qui nous permettent de tenir la dépression à distance.
Si l’on observe ce qui se passe dans le cerveau quand nous manquons de sommeil, de nombreux indices permettent de vérifier le lien entre sommeil et dépression. Une étude menée sur ce sujet s’est penchée sur une zone du cerveau nommée amygdale. L’amygdale est une structure en forme d’amande, située au cœur du cerveau, et dont on pense qu’elle joue un rôle important dans la régulation de nos émotions et de notre niveau d’anxiété.
On a découvert que l’amygdale des participants qui avaient été privés de sommeil pendant environ 35 heures réagissait plus fortement à des images tristes que celle du groupe qui n’avait pas été privé de sommeil. Fait intéressant, chez les individus privés de sommeil, la communication avec les parties du cerveau qui régulent l’activité de l’amygdale semblait affaiblie – ce qui signifie que les participants étaient peut-être moins en mesure de contrôler leurs émotions. Ces résultats pourraient aider à expliquer comment un sommeil de mauvaise qualité peut effectivement entraîner des troubles dépressifs.
L’insomnie en héritage
Au fil des années, je me suis tournée dans mon travail vers la génétique du comportement, dans l’idée de comprendre les liens entre troubles du sommeil et dépression. D’après mes propres recherches sur les jumeaux et le travail mené par d’autres chercheurs, il semble que les symptômes de l’insomnie et le sommeil de mauvaise qualité pourraient être des particularités liées au même groupe de gènes – ce qui signifie que si nous héritons des gènes qui nous rendent sensibles à l’insomnie, nous pouvons aussi être prédisposés à la dépression.
En cherchant le lien entre sommeil et dépression, je me suis aussi penchée sur des travaux récents qui explorent le lien entre système immunitaire et dépression. Certaines études indiquent que le corps des personnes souffrant de dépression – ou qui risquent d’en souffrir – montre un niveau d’inflammation élevé. Leur système immunitaire semble hyperactif, comme s’il combattait une infection ou tentait de cicatriser après une blessure. De même, lorsque nous dormons mal (ou pas assez), une inflammation peut survenir. L’inflammation peut donc aider à expliquer le lien entre sommeil et dépression.
Alors, que faire pour améliorer notre sommeil et éviter une cascade de désagréments ? Depuis un certain temps, on sait qu’en améliorant le sommeil, nous pouvons peut-être prévenir ou traiter la dépression, et les études les plus récentes semblent le confirmer. Par exemple, des chercheurs de l’Université d’Oxford, en collaboration avec le centre de thérapie « Self Help Manchester » ont créé un programme en ligne de lutte contre l’insomnie, dans le but de réduire les symptômes de l’anxiété et la dépression. Ce « traitement » comprenait des conseils : se réveiller toujours à la même heure, sortir du lit quand on ne peut pas dormir, abandonner l’idée qu’une mauvaise nuit de sommeil serait handicapante, etc.
Ce traitement a nettement réduit l’anxiété et les symptômes dépressifs de ceux qui l’ont suivi. Par conséquent, d’autres équipes de chercheurs se demandent actuellement si en améliorant notre sommeil, nous pouvons réduire d’autres types de difficultés psychiatriques. Mais en l’état actuel de la recherche, le message est clair : nous devons sérieusement songer à mettre le sommeil au premier plan.
Alice M. Gregory, Professor of Psychology, Goldsmiths, University of London
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.