Antioxydants : oubliez les pilules et mangez des légumes !
Richard G. ‘Bugs’ Stevens, University of Connecticut
À voir les publicités pour compléments alimentaires ou à déambuler le long des allées de supermarchés, vous pourriez croire que votre nourriture ne nous apporte pas assez de nutriments (ou que vos aliments ne vous nourrissent pas suffisamment). Pourquoi continuer à manger des fruits et des légumes alors que vous pouvez bénéficier d’un bonus grâce à des compléments qui contiennent plein de bonnes choses comme les antioxydants, encapsulés dans une pilule facile à prendre ?
A priori, cela semble une bonne idée. Si les antioxydants qui se trouvent à l’état naturel dans notre nourriture, comme les brocolis et les carottes, sont bons pour nous, un supplément avec les mêmes ingrédients ne peut qu’être bénéfique. Mais cela n’est pas tout à fait juste.
Des antioxydants pour préserver nos cellules
On proclame à loisir que les antioxydants sont des protecteurs de nos cellules parce qu’ils éliminent les radicaux libres qui endommagent les molécules des cellules et des tissus. Ces composés néfastes agissent en piégeant leurs électrons, rendant par conséquent ces molécules instables. Ce processus peut alors faire boule de neige et entraîner la mort d’une cellule ou même anéantir complètement un organe du corps humain comme dans les cas de défaillances hépatique ou cardiaque. Un antioxydant devrait stopper ce processus de dégradation et nous maintenir en bonne santé !
Partant de ce schéma, un groupe de scientifiques a proposé en 1981 de créer un complément alimentaire combattant les radicaux libres. Les chercheurs se sont appuyés sur de nombreuses études épidémiologiques selon lesquelles les personnes mangeant beaucoup de légumes sont moins à risque de subir un cancer du côlon, des maladies cardiovasculaires ou d’autres affections graves. Il fallait donc en identifier le principe « actif » et l’encapsuler. Les chercheurs conclurent qu’il pouvait s’agir du bêta-carotène, qui donne aux carottes leur couleur orange, parce que c’est un antioxydant.
Mais ce n’est pas si simple. L’interaction constante entre ce que les chimistes appellent les « accepteurs d’électrons » (les radicaux, ou agents oxydants) et les « donneurs » (les antioxydants) constitue un ensemble biochimique subtilement équilibré et d’une grande complexité qui se situe au cœur même du processus de survie et de développement des cellules.
Quand il y a soit trop de récepteurs, soit trop de donneurs, le système se dérègle et des dégâts peuvent s’ensuivre. Ce qui veut dire que toujours plus d’antioxydants n’est pas forcement une bonne chose.
À la fin des années 1980, deux essais cliniques ont débuté, l’un à Seattle aux États-Unis, l’autre en Finlande. Ce type d’étude d’observation coûte extrêmement cher à réaliser correctement et ces deux-là n’ont pas dérogé à la règle.
Dans le cas de Seattle, lors d’une étude « randomisée » menée en 1988, environ 18 000 hommes et femmes ont reçu, les uns un comprimé de bêta-carotène, les autres un comprimé dépourvu de tout ingrédient actif, le fameux placebo. Le plan consistait à suivre ces hommes et ces femmes pendant dix ans. Les chercheurs avaient formulé l’hypothèse qu’ils auraient à observer moins de cancers du poumon dans le groupe sous bêta-carotène, beaucoup moins espéraient-ils. Mais le contraire arriva et l’étude dû s’interrompre prématurément, le groupe sous bêta-carotène ayant développé plus de cancers du poumon que le groupe sous placebo. Et le même phénomène se produisit en Finlande.
Facteur important : dans les deux essais, le dosage en bêta-carotène était beaucoup plus fort que ce que produit naturellement le corps humain lorsque l’on mange des aliments riches en ce nutriment. Les chercheurs supposaient que si une petite quantité s’avérait bénéfique, une plus grande devrait produire un effet encore meilleur. Ils avaient tout faux.
La nocivité des compléments antioxydants
La vérité s’est imposée au fur et à mesure : en ce qui concerne les antioxydants, le plus n’est nécessairement le mieux. En 2007, une analyse de 68 essais cliniques portant sur la supplémentation en antioxydants a révélé, pour les groupes ayant absorbé ces molécules, un chiffre statistiquement significatif de hausse de 5 % de risques de décès par rapport à ceux sous placebo.
Quand on parle en nombre de décès, une augmentation de 5 % est énorme. Ces conclusions ont provoqué un choc et déstabilisé les chercheurs. Le premier commandement en médecine est « d’abord, ne pas nuire » – or ces essais ont justement fait du mal. Les résultats ont démontré qu’un comprimé d’antioxydants, enrichi en bêta-carotène, vitamines A et E, accroissait de façon significative le risque de décès. Car en plus d’être des vitamines, A et E sont aussi des antioxydants. La vitamine C et des suppléments en sélénium n’ont, quant à eux, pas entraîné d’effet sur le risque de décès, ni en bien ni en mal.
Pour des personnes en bonne santé, donc, prendre des suppléments antioxydants n’a pas l’air de faire du bien, au contraire. Cependant, il peut y avoir une exception à la règle : que se passe-t-il lorsqu’on prend une faible dose ?
Sont-ils tous à éviter ?
Une indication nous est fournie par une récente étude sur des multivitamines, partie d’une vaste recherche clinique menée à Harvard sur une population de médecins, sous l’appellation « Étude de santé des médecins II ». Cette étude a commencé en 1997 avec presque 15.000 médecins hommes qui ont pris au hasard un comprimé sur quatre proposés. L’un était un placebo, les autres contenaient ou de la vitamine E, ou bien de la vitamine C ou encore une multivitamine avec des antioxydants, en l’occurrence une faible dose de vitamine E. Comme les chercheurs voulaient tester un produit accessible au grand public, ils ont choisi d’utiliser « Centrum Silver », une marque de multivitamines fabriquée par le laboratoire Pfizer. À part le fait de fournir Centrum Silver, Pfizer n’a joué évidemment aucun rôle dans cette étude.
En 2011, on a diagnostiqué un cancer chez environ 2 700 personnes sur les 15 000 participants à l’étude. Les capsules de vitamine E et C n’ont pas induit de risque de cancer mais dans le groupe ayant pris des multivitamines, on a constaté une baisse de 8 % de ce risque. Les multivitamines ne contiennent pas de fer, ce qui est une bonne chose. Elles sont aussi beaucoup plus pauvres en nutriments que ce qu’on trouve dans les suppléments. Par exemple, Centrum Silver renferme beaucoup moins de vitamine E qu’un supplément typique de vitamine E (45 unités de mesure internationales (IU) comparées à 400 IU).
Tout cela souligne un problème sérieux rencontré lors de toutes les tentatives pour inclure de bons nutriments dans un comprimé : la dose est à chaque fois considérablement plus élevée que celle contenue dans l’alimentation normale. Par exemple, le germe de blé est fortement concentré en vitamine E mais les comprimés utilisés lors des essais cliniques sur la vitamine E en contiennent dix fois plus. L’adage de la médecine occidentale selon lequel « si une petite quantité fait du bien, une plus grande c’est encore mieux » est presque toujours inexact. Par exemple, l’eau est une bonne chose, pas vrai ? Mais à boire trop d’eau dans un court laps de temps, vous tomberez raide mort.
Mangez tout simplement vos légumes
Les légumes qu’on associe à un moindre risque de maladies contiennent beaucoup de nutriments qui s’ajoutent aux antioxydants comme le bêta-carotène. La combinaison de tous ces éléments au sein d’un produit naturel pourrait bien être la clef de leur efficacité. Par conséquent, elle ne peut pas se réduire à un seul ingrédient actif qu’on mettrait dans un comprimé. Je préfère manger des aliments mais si vous voulez avaler un comprimé, prenez-le faiblement dosé en multivitamines et sans apport de fer.
Richard G. ‘Bugs’ Stevens, Professor, School of Medicine, University of Connecticut
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.